Récit d’un patient récemment interné

Depuis ma capture, je ne cesse d’en baver. Je suis en proie à une constante colère. Furieux qu’on m’ait réduit à l’impuissance, j’en suis réduit à regarder les murs et le plafond et hurler ma colère, ma détresse et mon désespoir. J’étais prêt à me battre à mort pour éviter ce sort, mais le cruel taeser ne m’a laissé aucune chance. Lorsque j’ai repris conscience, avec un épouvantable mal de tête et l’impression qu’il restera toujours un peu de courant électrique dans mes os, j’étais attaché à un lit par des lanières de cuir. Chaque jour, chaque heure, chaque minute, je ne sais plus, ayant perdu la notion du temps, quelqu’un entre, me demande si ça va et peu importe ce que je réponds ou ce que je crache (parce que parfois, choqué, je leur crache au visage!), me donne une piqûre en me rappelant que c’est pour mon bien, qu’ils n’ont pas le choix. On me dit que cette seringue m’injecte un médicament qui va m’aider, mais je pense plutôt qu’elle me prend, à chaque fois qu’elle pénètre mon bras, une parcelle de lucidité.

On dirait que mes souvenirs s’estompent, remplacés par un tourbillon d’images sans queue ni tête. Un psy m’a dit l’autre fois que c’était l’angoisse qui m’empêche de plus en plus de penser, mais j’ai des doutes. C’est pire, vraiment pire, depuis que je suis ici. Ou bien est-ce la solitude, le fait d’être enfermé en permanence? Je ne sais pas, je ne sais plus et de piqûre en piqûre, je veux de moins en moins le savoir.

Mes connaissances techniques aussi s’estompent. Chaque fois que j’essaie de faire un calcul mental, aussi simple soit-il, quelque chose se brise ou s’efface. Hier, pendant quelques secondes, j’ai eu des doutes quant à la valeur exacte de 2+2. Que va-t-il se passer? Que va-t-il m’arriver? Pourquoi font-ils ça? Savent-ils seulement ce qu’ils font?

Se pourrait-il que ce soient des Robins de Bois des temps modernes, volant de l’intelligence aux plus nantis pour la redistribuer aux pauvres? Si c’est ça, pourquoi m’en prennent-ils tant que ça? Se rendent-ils compte qu’ils me dépouillent à ce point avec leur vilaine seringue? Non, ça n’a aucun sens. Je pense plutôt qu’ils s’approprient ma lucidité et celle d’autres infortunés pour la détuire, en faire une source d’énergie quelconque ou se l’approprier, pour pouvoir trouver des moyens de plus en plus efficaces et machiavéliques de capturer de nouvelles victimes et les torturer plus efficacement, sans que le commun des mortels soit au courant.

Est-ce partout pareil? Sont-ils tous ainsi? Je ne peux y croire, mais je ne peux pas ne pas y croire. Je ne sais plus quoi faire ni penser. Mon esprit est maintenant trop embrouillé pour avoir une opinion claire sur ce sujet. Des fois, je songe tenter de retenir ma respiration jusqu’à ce que la vie me quitte. Parfois, j’essaie, ça me permet d’oublier un peu, mais ça ne fonctione pas, mes réflexes primitifs s’accrochant obstinément.

Au début, je me débattais comme un forcené pour briser mes liens. L’autre jour, j’ai réussi à briser la lanière retenant mon bras droit. Fier de moi, je n’ai pu que pousser un cri de joie, me passer la main dans les cheveux puis j’ai passé au moins CINQ minutes à CONTEMPLER ma main! Je ne sais pas ce qui m’a pris. Si j’avais continué à forcer, peut-être, je dis bien PEUT-ÊTRE, aurais-je pu libérer mon autre main et peut-être une JAMBE, oui une JAMBE, pour donner des COUPS DE PIED! Mais non, j’ai déconné, la fois de trop, et après me voilà enchaîné. Je n’ai plus aucune chance, à moins de pouvoir briser l’acier, voire le titane. Je ne sais pas en quel métal ont été forgé mes liens, peut-être même ont-ils trouvé du Mitril pour que je n’aie AUCUNE chance.

Alors je regardais le plafond et je criais, je poussais des hurlements de fauve blessé, pendant des heures et des heures. Et puis un jour, épuisé, j’ai cessé de crier, j’ai cessé de parler, j’ai cessé d’essayer. Quand on me demandait quelque chose, je ne répondais plus, faisant le mort. Et puis un jour, on m’a détaché, m’avertissant clairement qu’à la moindre tentative d’évasion, je serais de nouveau lié et que toute tentative d’agression me vaudrait des poursuites en justice suite à ma sortie de l’asile, si je sortais un jour bien entendu.

Puis on m’a donné un cahier et un crayon, me disant d’écrire tout ce qui me passe par la tête. Eh bien je vous le dis. C’est le dernier récit que contiendra ce cahier. Ces pages, je vais les remplir de formules mathématiques! Je vais utiliser ce qu’il me reste de raison pour développer des théorèmes, sans savoir s’ils existent déjà. Ce sera MA façon d’exprimer mon désaccord, ma petite révolte intérieure, et rien ni personne ne pourra m’empêcher de faire ainsi. Si on me confisque le crayon, je continuerai avec mon SANG! Si on me confisque le cahier, je continuerai sur les murs! Il me semble que cette pièce serait moins terne tapissée de formules mathématiques.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *