La naissance d’un pyromane

Depuis l’enfance, on nous répète de ne pas jouer avec le feu, que c’est dangereux. À cela, je me dois de répondre qu’il n’y a aucun vrai plaisir sans risque! J’ai découvert cela hier soir, lors d’une expérience… enflammée! Triste que l’été tire déjà à sa fin et tourmenté par des démons connus de moi seul, je voulus tenter quelque chose de nouveau pour moi, une technique de méditation bien simple: la contemplation d’une flamme.

Pour y parvenir, j’ai allumé une bougie que j’ai placée sur une table dehors. Animée par le vent et sa propre volonté, la flamme dansa pour moi, telle une diva d’un autre monde. Je la fixai, tentant d’oublier tout le reste, puis commençai à entrer en transe. Au moment où je ressentis l’énergie universlle me traversant de part en part, alimentant les parties de ma conscience capables d’opérer des conversions de processus, un coup de vent m’arracha ma danseuse privée, brisant du même coup mon état de transe. Ce fut si brutal que je sursautai et faillis pousser un cri.

C’est alors que je voulus plus! Je savais pouvoir le faire, je savais pouvoir, ce soir, aller plus loin que jamais je ne le suis allé. Pour y parvenir, j’allai chercher un chaudron dans lequel je versai un peu d’huile. J’y ajoutai une dizaine de lettres dont je voulais me débarrasser depuis longtemps d’une façon spectaculaire. Puis je mis le feu là-dedans! Ah quelle euphorie s’empara de moi! Je trésaillis d’excitation et ne pus réprimer un cri de joie! Le feu se propagea vite, formant une entitée dotée d’une vie propre.

Mais je savais qu’il s’éteindrait vite. Pour l’alimenter, j’allai dans la cuisine me chercher un tabouret et l’amenai à l’extérieur. Je l’abattis violemment contre le sol, ce qui le brisa en plusieurs morceaux. Je plaçai une patte dans le chaudron, mais le feu ne prit pas. Je tentai d’enduire la patte d’huile, elle sembla s’enfammer, mais le feu s’éteignit encore. Décidé à aller aussi loin que mon esprit tordu me le permettait ce soir-là, je démarrai mon four à température maximale, y plaçai les morcaux de bois pendant plusieurs minutes et en jetai dans le chaudron, en utilisant des mitaines de four pour les transporter. L’augmentation de la température induite par le four fit en sorte que le bois s’enflamma au contact de l’allumette. C’était vraiment spectaculaire, à faire peur! Pour être sûr que ça brûle bien comme il faut, je jetai encore un peu d’huile là-dedans, puis tant qu’à faire je vidai le restant de ma bouteille!

Je regardai le bois brûler. Le feu, ultime destructeur mais aussi dispensateur de chaleur et de vie, mettait sous mes yeux fin à un monde pour en créer un nouveau, espérons-le plus beau. Son crépitement, qui s’accentuait avec l’incandescence de mon brasier, semblait m’appeler, tel le chant d’une sirène. Incapable de résister, je m’aprochai le visage des flammes, essayant de voir à travers elles la solution à peut-être au moins quelques-uns de mes problèmes. Feu, feu, joli feu, donne-moi l’inspiration qui me manque si cruellement, pour déceler en moi les processus fautifs à transformer, les clés permettant de maîtriser les images mentales et les manipuler à volonté, l’accès à l’énergie universelle au niveau mystique. Donne-moi la force et le courage pour vaincre le mal qui rôde dans ma caverne intérieure. Accorde-moi le pouvoir d’ouvrir les portes du plan astral!

Fou d’allégresse, je pris une grande inspiration, tâchant d’aspirer le plus de fumée possible. Les yeux me picotaient, la gorge me faisait mal et je me mis à tousser, tousser, tousser, comme jamais je ne l’avais fait auparavant. Va-t’en, démon! Sors de mon corps, je te chasse, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit! Je t’exorcise et par ces flammes, t’ouvre la porte vers ton lieu de naissance! Retournes-y et restes-y! Sois puni par ton maître pour ton échec, parce que tu n’as pas réussi à me posséder jusqu’à la folie! Le feu t’a chassé, et le voilà qui te reprend pour te ramener d’où tu viens!

Je sus ensuite que je pouvais aller plus loin encore. D’abord lentement, j’approchai ma main gauche des flammes. La chaleur et la raison me repoussèrent au début, mais mon exaltation en eut raison. Je savais que ma main pouvait traverser les flammes, ce soir, et en ressortir indemne, voire renforcée. Fou de joie, je touchai le feu et tentai de m’en saisir une poignée. Le feu, docile, resta dans ma main pour y brûler joyeusement. Inspiré, je plongeai mon autre main dans les flammes et m’en saisis une poignée. Les deux mains enflammées, je me mis à hurler de douleur mais aussi de joie, tout en agitant les bras comme un oiseau battant des ailes. Puis je commençai à incanter, décidé à ouvrir un passage vers l’autre monde, celui où mon double avec des connaissances magiques existe. Lui saura quoi faire pour la suite!

Cela ne fonctionnant pas, je me dis que je devais faire plus pour terminer le rituel! Je joignis donc mes mains enflammées et, poussant un dernier cri, les portai à mes lèvres! La douleur n’eut d’autre mesure que ma profonde exaltation. Jamais je n’ai ressenti pareille allégresse. Puis tout disparut.

Lorsque je repris conscience, le feu s’était éteint. Il ne restait plus que quelques braises dans le fond du chaudron. Les mains pleine de cloques, je ne pouvais plus me saisir de quoi que ce soit. La langue enflée, c’est à peine si je pouvais parler. J’avais les oreilles qui me bourdonnaient et la gorge qui me picotait. Les yeux me chauffaient et j’avais l’esprit embrouillé. Mais je ressentais un profond soulagement, une paix intérieure inégalée jusqu’à présent. Je laissai là le chaudron et rentrai me coucher. Plusieurs heures s’étaient passées depuis que j’avais goûté le feu.

Ce que je sus ce soir-là, c’est que je devais le refaire, et le refaire plus gros, toujours plus gros. Je vais trouver du bois à brûler, beaucoup de bois, et un endroit grand, une large surface d’asphalte ou de béton, ou un vieil entrepôt. Et je vais le refaire, toujours et toujours.

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