Le creuseur de tunnels

Tout en rangeant les derniers lingots de métal dans les barrils, je réfléchissais à comment je pourrais procéder pour prévenir une nouvelle explosion. En effet, j’étais venu ce matin dans la salle de stockage me créer une machine permettant d’extraire plus de caoutchouc de la résine pour tomber face à face avec un monstre gris. Surpris, j’ai reculé de quelques pas, dégainé mon épée et foncé vers la créature qui s’est mise à crépiter. Je lui ai administré un coup, reculé de quelques pas pour qu’elle cesse de crépiter, mais le monstre, lui, s’est avancé vers moi. J’ai eu le temps de lui balancer au moins trois coups d’épée avant qu’il ne m’explose en pleine face, me laissant presque mort et créant un véritable foutoir dans la salle de stockage. Le plancher était percé et plusieurs barrils de stockage, brisés. Sans mon armure, je serais mort à cause de cette explosion. Je crois que les dieux de notre monde ont décidé qu’il y aurait des monstres explosant avec divers degrés de force. L’autre jour, KeBaTeK et moi en avons rencontré un petit. Là, c’était un GROS, du jamais vu!

Pourquoi ce monstre est-il apparu? Selon les lois de notre univers, ils apparaissent en l’absence de lumière, mais j’ai bien vérifié que toute cette salle était bien éclairée. Serait-ce la zone d’ombre au plafond? Pas certain. Grimper pour suspendre des luminaires là me prendra des heures! Et je pourrais mettre des torches à plus finir sans que cela ne suffise. Les dieux ont peut-être modifié les règles selon des caprices connus d’eux seuls! Ou bien le monstre est apparu dans l’ombre sur le toit, durant la nuit, et est tombé à l’intérieur? Se pouvait-il qu’il soit passé à travers les murs? Confus, à bout de nerfs et de moyens, je me le demandais!

Un peu découragé, sachant que ça pouvait toujours se reproduire, je suis allé potasser un livre dans l’espoir de trouver un moyen de renforcer mon épée, pour qu’elle puisse tuer ce genre de menaces plus facilement. Selon le livre, cette arme était déjà parmi les meilleures de sa catégorie. Je ne pourrais obtenir mieux qu’avec des alliages de cobalt et d’ardite qui seraient difficiles et dangereux à obtenir.

J’ai découvert comment travailler le métal depuis quelques semaines, pendant mon long séjour de solitude dans la jungle. En mélangeant de l’argile, du sable et de la gravelle, puis en cuisant cette boue, j’ai obtenu des briques capables de résister à une haute température, celle de la lave en fusion. J’ai utilisé ces briques pour bâtir un four dans lequel je pouvais faire fondre du métal. J’ai tenté de couler ce métal sur une table, elle-même fabriquée à partir des briques résistantes à la chaleur. Mais tout ce que je pouvais obtenir avec ce procédé, c’étaient de simples plaques de métal impossibles à travailler. Je n’arrivais pas à les façonner pour en former des outils.

Un jour, j’ai tenté de tailler une pièce en pierre, je l’ai placée sur la table à coulée puis j’ai versé le métal en fusion dessus. Il en a résulté un moule réutilisable dans lequel je pouvais couler du métal pour former des pièces. Mais le moule n’est utilisable que si je le fabrique à partir d’un alliage d’aluminium et de cuivre. C’et alors que j’ai pu, pour la première fois, me forger une épée en fer, beaucoup mieux que l’arme en os qui pouvait à peine tuer des animaux. Elle me serait bien utile, celle-là, me dis-je. Puis jai forgé une pioche par le même procédé.

Malheureusement, le grand KeBaTeK a quitté la base de la jungle pour s’en construire une plus grande, très loin. Je ne pouvais donc pas rester dans la jungle, sinon je devrais continuer mon périple seul. Pour atteindre la base, à plus de 900 kilomètres de ma position, il m’aurait fallu des semaines de marche et des nuits dangereuses sur des terres sauvages. J’ai songé créer une machine capable de creuser un long tunnel sous terre, mais KeBaTeK a déplacé ce dont j’aurais eu besoin pour le faire vers la nouvelle base. Je devais donc trouver autre chose.

Il existe un univers parallèle, une autre dimension, dans laquelle les distances sont plus courtes. Un kilomètre dans notre monde équivaut à moins de cent mètres là-bas! Pour s’y rendre, il faut créer un portail en obsidienne, l’enflammer et prononcer une longue incantation. À la moindre erreur, rien ne se passe et il faut tout recommencer. Mais KeBaTeK avait déjà créé le portail.

Alors j’y suis allé, mais là-bas, il n’y avait aucun chemin menant vers un autre portail. Des monstres poussant des miaulements ressemblant à ceux d’un chat rôdaient autour de moi, menaçant de sortir de leur cachette pour me bombarder de boules de feu! Il ne fallait pas m’attarder à chercher une voie d’accès. J’ai donc creusé, creusé, creusé, en utilisant ma nouvelle pioche. Elle m’a permis de parcourir la moitié du chemin avant de se casser.  J’ai eu besoin de deux autres pioches pour enfin y arriver. Là-bas, il n’y avait aucune porte. J’ai dû rebrousser chemin, obtenir de l’obsidienne et fabriquer une autre porte, là-bas, à l’autre bout de mon tunnel, pour enfin arriver à la nouvelle base de KeBaTeK! Mais le chemin en a largement valu la peine!

Sitôt arrivé là-bas, j’ai obtenu des sacs d’encre. Je n’ai pas réussi à en trouver dans l’eau si bien que j’ai utilisé une pierre magique pour transformer de la teinture orange en encre! La teinture a été obtenue en mélangeant des pétales de fleurs. J’ai utilisé l’encre pour créer des panneaux de liaison qui m’ont ensuite permis de créer des livres. Ces livres sont magiques; ils permettent de se déplacer d’un point à un autre entre les dimensions. J’ai pu les utiliser pour créer un chemin plus direct entre nos bases.

Il y a beaucoup plus d’espace ici que dans la jungle et les environs sont plus hospitaliers. Au lieu d’une jungle contraignante, nous avons de superbes montagnes regorgeant de terre, de sable, de bois et peuplées d’animaux. Le soleil dispense une douce chaleur et les eaux regorgent de poissons.  Mais je n’ai pas la patience de passer des journées à pêcher; je vais probablement tenter de me créer une machine pour le faire à ma place, un bon jour.

Mais là, le problème des monstres qui explosent est ma préoccupation principale. Je pourrais tenter de les tirer à l’arc, mais je ne suis pas certain que cela suffira. Peut-être devrai-je inonder la salle. S’il y a six pouces d’eau au sol, les monstres ne pourront exploser. Mais ce ne serait pas très agréable de séjourner dans une telle pièce. Je songe aussi à la possibilité de refaire le plancher en obsidienne (à condition de créer une machine pour en produire) et d’utiliser des barrils plus solides qui ne se briseraient pas en cas d’explosion. Il me faudrait les remettre en place, mais au moins leur contenu ne se répandrait pas partout.

Je ne sais pas. Mais je ressens un peu d’espoir, je me sens mieux que sous terre dans la jungle. Depuis que j’ai creusé ce tunnel dans l’autre monde, je sais qu’il y a quelque chose de possible. Il faut simplement éviter de m’acharner sur la solution que je pensais la bonne au début et adapter ma stratégie aux réactions du monde qui m’entoure. Si ça ne fonctionne pas avec du fer, essaie avec du cuivre ou de l’étain, ou un alliage des deux. Là où la technologie échoue lamentablement, peut-être la magie peut réussir. Mais dans tous les cas, quelque chose est nécessaire, quelque chose qui transcende tous les moyens humains et non humains: la foi. Y croire. Sans la foi, il n’y a que malheur et désespoir.

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