Amour mortel

Le chevalier Jeff attacha sa monture à un arbre, près de la tour. Il s’avança vers le haut bâtiment, en franchit la porte et gravit les marches menant à la pièce du haut, là où s’installait habituellement le sorcier pour sa méditation et ses consultations. Aujourd’hui, Jeff avait grand besoin d’aide, car sa vie et celle d’une femme étaient en jeu.

– Grand sorcier Blackinn, commença-t-il. Je sollicite votre aide pour un problème difficile.
– Que se passe-t-il, jeune chevalier, répondit le sorcier.
– Mon cœur est brisé, répondit Jeff. Je suis face à un dilemme.
– Quel est ce dilemme que l’intelligence ne suffit pas à résoudre? demanda le sorcier.
– L’amour, grand sorcier, l’amour.
– Ah, tu as besoin d’un philtre pour conquérir une femme. Sache que ces potions ne sont pas très efficaces. Elles ne créent pas le vrai amour, seulement une illusion, tu sais.
– Non, je voudrais non pas un philtre d’amour mais plutôt l’inverse: faire cesser un amour qui n’a aucune chance.
– Tu sais, jeune chevalier, que faire pareille chose est contre nature. L’amour est sans doute la chose la plus belle qui puisse arriver à un être humain.
– Je sais, mais j’ai commencé à aimer Vanessa, qui vient d’être promise en mariage au prince Arthur. Le roi Georges s’en est aperçu quand je suis allé à la cour et j’ai regardé Arthur et Vanessa avec trop d’insistance. Il a menacé de nous couper la tête, à moi mais aussi à elle! Je ne veux pas le faire par simple égoïsme, je veux la sauver, lui épargner la mort.
– Pars, alors, jeune homme, pars loin, et ne reviens pas. C’est la façon la plus facile de la sauver.
– Mais, ô grand sorcier, je veux continuer à servir mon roi. Je ne peux partir comme ça, laissant tout derrière. Il doit bien exister une potion ou une incantation permettant de conjurer l’amour.
– Oui, il existe quelque chose, une cérémonie très ancienne mais peu connue. Mais si je te l’enseigne, tu risques par peur de l’utiliser sur toutes les prochaines femmes que tu commenceras à aimer, et tu pourrais alors rater celle qui est faite pour toi.
– Je suis prêt à prendre le risque, ô grand sorcier, pour elle et pour mon roi.
– C’est très noble de ta part, jeune chevalier, mais il te faudra plus que cette résolution pour parvenir à tes fins. Ce n’est pas une potion ou un sortilège qui te libérera mais plutôt processus lent et laborieux de méditation. Pour un combattant comme toi, ce sera très difficile, parce que tu vois toujours ta tâche comme une bataille. Tu penses à combattre l’amour, à supprimer de ton esprit les images de Vanessa, tu voudrais l’oublier.
– N’y aurait-il pas une potion pour me la faire oublier?
– Oui, mais elle détruira une partie de toi, et quand tu reverras Vanessa, elle recréera en toi exactement les mêmes souvenirs que tu auras voulu effacer. Si tu te fais effacer la mémoire de façon répétée, tu y laisseras ton intelligence, tu deviendras fou! La cérémonie que je te propose te fortifiera et si elle fonctionne, tu pourras de nouveau être exposé à Vanessa sans retomber en amour.
– Par quoi je dois commencer, alors?
– Réfléchir. Oublie le combat, jette ton épée, et fais-toi dresseur de dragons.
– Pourquoi?
– Le dresseur de dragons prend le temps de connaître sa bête, interagit avec elle, devient son ami intime ou presque, et c’est comme ça qu’il arrive progressivement à le contrôler puis à le chevaucher. C’est ça que tu devras faire avec ton amour: le comprendre, le faire tien, puis le chevaucher. Mais il te faudra franchir plusieurs étapes avant d’en arriver là.
– Je suis prêt, sorcier, répéta le chevalier.
– Je sais, répondit Blackinn. On verra combien de temps ta résolution tiendra. Sache que j’ai déjà appliqué cet art à quelques reprises. Pour avoir regardé une trop belle femme, j’en ai eu pour trois jours de rémission!
– Elle m’a touché l’épaule, avoua Jeff, et j’ai bien aimé ça. C’est là que le roi nous a surpris. Je ne sais pas pourquoi elle a fait ça, mais j’ai bien aimé ça, et j’y pense tout le temps.
– Il te faudra au moins une semaine, sinon plus, alors patience, ça va t’en prendre beaucoup. La première chose que tu dois faire est d’augmenter ton énergie. L’amour que tu combats t’en a sapé beaucoup. Je vois ton aura affaiblie en ce moment. Il faut que tu rétablisses ta connexion avec l’énergie universelle, le mana comme on appelle en sorcellerie, et que tu la maintiennes tout au long du processus.
– Comment dois-je faire?
– Par la respiration lente et profonde et la contemplation de la nature. Tu ne vas pas réussir dans l’immédiat et on ne pourra aller plus loin avant que tu aies réussi. Essaie, et reviens demain.

Un peu déçu, Jeff repartit et passa le reste de la journée assis sur une roche à prendre de lentes et profondes inspirations. Il se perdit dans ses pensées, laissant son esprit galoper dans des contrées inexplorées. Il pensa beaucoup à Vanessa et se laissa bercer d’excitation. Il l’imagina lui flattant le visage, lui prenant le bras, s’essayant sur ses genoux. Il l’embrassa, elle lui retira son armure et ils s’enlacèrent dans l’herbe. Puis Jeff sursauta, s’efforçant de chasser toutes ces images qu’il ne voulait plus voir peupler son esprit.

Le lendemain, Jeff retourna voir le sorcier dans sa tour et lui fit part de sa tentative.

– Jeff, voyons, que t’ai-je dit de faire?
– Respirer profondément. Je l’ai fait, ça m’a fait du bien. Alors suis-je prêt?
– Non, malheureusement. Que devais-tu faire en plus de respirer profondément?
– Contempler la nature, se rappela Jeff. Je l’ai fait, je me suis installé sur une roche pour ma méditation.
– Et qu’as-tu fait sur cette roche?
– J’ai respiré… et j’ai pensé à elle. C’était plus fort que moi.
– Jeff, regarde cette boule de cristal. Fixe-la intensément.

Jeff s’exécuta et fixa la boule jusqu’à ce que le sorcier l’interrompe.

– As-tu pensé à Vanessa pendant ton exercice?
– Un peu, avoua Jeff, mais moins qu’hier.
– La boule est inerte. Elle demande une concentration de ton esprit pour être fixée comme ça. On va maintenant essayer avec autre chose: cet oiseau.

Blackinn se leva et prit une cage sur une étagère. Il la posa sur la table et demanda à Jeff d’examiner l’oiseau.

– Regarde-le bien, mais ne te concentre pas autant qu’avec la boule. Sois un observateur passif, laisse l’image de l’oiseau, son chant, ses mouvements, pénétrer ton esprit et remplacer tout ce qu’il contient.

Jeff s’exécuta, bien qu’il ne voyait pas trop où le sorcier voulait en venir. Il regarda l’oiseau pendant plusieurs minutes. Au début, il était tendu, mais il se relaxa progressivement.

– As-tu pensé à Vanessa pendant que tu contemplais l’oiseau?
– Presque pas! avoua Jeff, encouragé. C’est donc ça la solution, aussi simple que ça?
– Non, il va falloir aller un peu plus loin, à moins que tu aies envie de passer ta vie à contempler la nature. Ce que tu as fait avec l’oiseau, tu vas le refaire avec les arbres, la rivière, l’herbe, le ciel, et ce jusqu’à demain. Reviens, et puis on verra si tu es prêt.

Jeff repartit, retourna s’asseoir sur la roche et cette fois, il examina avec grande attention l’eau de la rivière. Il se perdit dans les reflets du ciel et du soleil sur l’eau, contempla les poissons qui passaient et finit par ressentir une profonde sérénité qui le poussa à inspirer profondément, et expirer plus profondément encore. Jeff finit par s’assoupir sur la roche et ne reprit conscience qu’à l’aube. Il retourna alors voir le sorcier.

– C’est bien, commenta Blackinn, c’est beaucoup mieux maintenant. Tu vas être prêt pour entendre la suite. Je te dis pas que tu sauras mettre en pratique ce que je t’enseignerai là. Beaucoup trouvent cet art abject, contre nature, et certains tueraient même pour le voir oublié.
– Alors que dois-je faire?
– De la même façon que tu as observé la nature, Jeff, tu dois maintenant observer l’image de ta bien-aimée.
– Quoi??? Je dois me rendre au palais et aller fixer Vanessa? Comment procéder pour que le roi ne me voie pas? Avec une potion d’invisibilité?
– Jeff, coupa Blackinn, t’ai-je dit d’observer Vanessa? Non! Je veux que tu examines l’image que Vanessa a projetée en toi! En d’autres mots, tu vas penser à elle, mais pas de n’importe quelle façon. Les fantasmes persistent parce que tu y tiens, Jeff. L’esprit crée une résistance pour t’empêcher de dompter l’illusion, pour qu’elle puisse revenir sans cesse. Il te faut aller au-delà de cette résistance. Pense à elle, et dis-moi ce que tu vois.
– Euh…
– C’est la résistance qui crée ce malaise. Exprimer ta pensée va te forcer à la préciser, et c’est crucial pour la suite du traitement.
– Je l’imagine qui me caresse les cheveux, lâcha Jeff, avant de se gratter la tête nerveusement.
– Bien, d’où vient cette image, Jeff? T’a-t-elle déjà caressé les cheveux une fois?
– Non, non! Sinon je serais probablement déjà mort!
– Alors qui, Jeff, qui t’a déjà caressé les cheveux?
– Euh… Ma mère, peut-être.
– Oui, ta mère. Tu as projeté une image de ta mère sur celle de Vanessa. Tu as utilisé une autre image pour compléter ton fantasme. Alors à chaque fois que tu imagineras Vanessa te caressant les cheveux, penses à ta mère qui le faisait quand tu étais petit.
– Ok, je vais essayer.
– Attends-toi à le faire plusieurs fois, et ça peut arriver que ça te fasse mal à certains moments. Essaie de rester calme, ne sois pas brusque. C’est un peu comme si tu essayais de soigner un dragon en lui retirant, une à une, des flèches qu’un archer fou lui a tirées. Le moindre mouvement brusque va affoler la bête et elle va se blesser davantage avec les flèches restantes, qui seront alors plus difficiles à extraire. Oublie pas la méditation, c’est elle qui te donnera l’énergie pour cette exploration.
– Une autre image me vient déjà à l’esprit. Je l’imagine…
– Non Jeff, non! Pas nécessaire de me communiquer toutes ces images. Ce sont des détails intimes de ton esprit qui, entre de mauvaises mains, peuvent faire beaucoup de mal. Tu le regretteras à vie si tu me les livres sans réfléchir, même si aujourd’hui tu me considères comme une personne de confiance. Avec suffisamment de ces images et un peu de magie noire, un sorcier habile peut prendre le contrôle total et permanent d’une personne! En plus, les images peuvent aussi perturber leurs créateurs. Vanessa serait plongée dans une indescriptible confusion si jamais elle apprenait la description de certaines de tes images.
– Désolé, s’excusa Jeff, penaud. Je pensais pas que c’était si dangereux.
– Ne t’en fais pas, Jeff, rassura Blackinn, les premières images sont de type superficiel. Tout le monde établit, plus ou moins consciemment, des analogies avec ses parents puisque c’est le premier point de contact avec le monde extérieur. Va maintenant.  Reviens dans quelques jours, lorsque l’image de Vanessa sera épurée de tout ce que ton esprit rebelle lui a greffé.

Jeff travailla plusieurs jours. Parfois, cela devint si dur qu’il en pleura et faillit en oublier la contemplation de la nature. Mais il arracha, une par une, les greffons à l’image mentale de sa bien-aimée. Il substitua des images de sa mère, des images de sa sœur, de son frère qui l’avait soutenu après une blessure, du roi, mais certaines composantes de l’image de Vanessa, uniques, ne se prêtaient pas à la substitution. Aucune femme, par exemple, n’avait exactement la même voix, et pourtant Jeff l’imaginait lui chuchotant des mots doux que personne ne lui avait dit auparavant.

Après quelques jours, Jeff retourna voir le sorcier, en panne d’inspiration.

– Maître Blackinn, commença-t-il. J’ai fait ce que vous avez dit. J’ai enlevé de l’image de Vanessa tout ce que j’avais ajouté à partir d’autres personnes.
– Très bien, commenta Blackinn. Si tu reviens, j’imagine qu’elle est encore là, n’est-ce pas?
– Oui, et on aurait dit plus forte que jamais! Est-ce que ça pourrait arriver que ça ne fonctionne pas sur certaines personnes? Et si c’était un vrai amour, si elle était vraiment faite pour moi?
– Ça ne fonctionne pas, jeune fou, parce que tu n’es pas encore arrivé au terme!
– Que dois-je donc faire?
– Traiter les images mentales qui ne se prêtent pas à la substitution, répondit Blackinn. La classique est la personne qui te chuchote « Je t’aime » à l’oreille.
– Oui, je pense tout le temps à celle-là! s’exclama Jeff. As-tu dans mes pensées?
– Non pas du tout, c’est ce qui arrive toujours. Alors pour traiter ça, tu vas te poser la question suivante: « Est-ce que Vanessa m’a dit ce mots? »
– Non, elle m’a presque jamais parlé, avoua Jeff.
– Voilà! Ton esprit a créé ces images de toutes pièces. Il faut arracher ces créations de l’image de Vanessa. Mais reconnaître les greffons n’est qu’une première étape. Tu peux pas purement et simplement arracher des morceaux d’une image mentale et les jeter; il faut les connecter quelque part et c’est cela que la substitution permet de faire facilement.
– Que dois-je faire alors? s’enquit Jeff.
– Réduire l’importance de ces greffons est l’idéal. As-tu besoin, réellement, qu’on te dise que tu es beau, que ta peau est douce et tout? Non! Alors pourquoi attends-tu que Vanessa le fasse? Si tu prends conscience de cela, tu sauras éliminer certains greffons. Mais d’autres resteront, parce que tu voudrais que Vanessa comble ton besoin d’affection. Il faut alors transformer l’image mentale pour pouvoir l’associer à une, idéalement plusieurs, autres personnes. Tu as besoin d’être complimenté? Le roi ou ton ami ne peuvent-il pas le faire pour toi, dans des mots différents bien évidemment que ceux que tu prêtes à Vanessa? Tu as besoin d’être aimé? Ton ami peut te procurer de l’affection, mais il ne va sûrement pas t’embrasser. En général non, quoiqu’il y a des exceptions.
– Je ferai cela, maître.
– Parfait, approuva Blackinn. Il te faudra probablement du temps pour réussir, alors patience, et n’oublie pas la méditation.

Jeff repartit et fit ce que Blackinn lui avait prescrit. Il y passa de longues journées et y déploya tant d’efforts que parfois, il était aussi fatigué qu’après une rude journée de combat! Mais l’image mentale de Vanessa survivait, malgré tout ce travail. Jeff semblait tourner en boucle, contraint de toujours revenir en arrière et traiter, toujours et toujours, les mêmes images, appliquer les mêmes substitutions, les mêmes transformations, encore et encore, apparemment sans résultat autre que l’épuiser et le décourager. Il retourna donc voir Blackinn.

– Maître, je dois faire quelque chose de travers, expliqua Jeff, parce que ça ne fonctionne pas.
– Non, c’est très bien. Tu es simplement arrivé à une nouvelle étape du processus.
– Alors que dois-je faire? s’enquit Jeff.
– La prochaine étape est le relâchement, mon cher Jeff. En travaillant activement sur l’image mentale de Vanessa comme tu l’as fait, tu as créé en toi un processus qui se réfère à elle. Tant que ce processus existe, elle existe. Il faut que tu arrêtes toute tentative de cesser de penser à elle. Consacre-toi à la méditation et à d’autres occupations. Prends soin de ton cheval, par exemple. Tu l’as délaissé ces derniers jours et je l’entends d’ici crier sa désapprobation. Va voir le forgeron avec ton épée, aussi, elle aurait grand besoin d’être affûtée. Regarde comment il procède, ça va te changer les idées ça aussi.
– Je vais faire ainsi, grand sorcier. Je vous remercie de votre patience et de votre bienveillance.

Jeff repartit donc et fit ce que Blackinn lui avait indiqué. Il brossa sa monture, l’amena au maréchal pour qu’il lui réajuste ses sabots et observa soigneusement comme il procédait. Il prit le temps d’admirer le talent de l’homme. Il alla voir le forgeron avec son épée, la fit affûter et passa quelques heures à se pratiquer au combat. Le soir venu, Jeff se sentait mieux que jamais. Il croyait bien avoir réussi.

Trois jours passèrent pendant lesquels Jeff se sentait bien. Il croyait avoir réussi à vaincre son fantasme. Mais au fil des jours, une inexplicable fatigue s’empara de lui et il se remit à penser à elle, au début de façon fugace, puis de façon de plus en plus insistante. Après une semaine, n’y tenant plus, il retourna voir le sorcier.

– Maître Blackinn, ça ne fonctionne toujours pas. J’ai réussi pendant des jours à vaquer à mes occupations. Je pensais presque plus à elle. Mais ces derniers jours, elle est revenue, et je me sens toujours fatigué.
– C’est normal, jeune chevalier. Ton esprit veut recréer l’illusion qu’il a chérie, et il y consacre beaucoup d’énergie, d’où la fatigue et peut-être même de l’irritabilité.
– Que dois-je donc faire pour enfin me débarrasser de ça?
– Commence par rétablir ta connexion à l’énergie universelle. Ensuite, penses à elle, encore une fois.
– Encore?
– Oui, encore.

Un peu confus, Jeff repartit, mais malgré son scepticisme, il exécuta les instructions du sorcier à la lettre. Il se remit à la méditation, puis repensa à Vanessa, observa son image mentale et puis un moment donné, constata que l’image se fragmentait, devenait imprécise. Il ne pouvait plus évoquer avec toute la précision d’avant le visage de Vanessa, sa voix, il ne pouvait plus la faire chanter ou danser pour lui. Pourquoi? Parce que toutes ces actions avaient été empruntées à d’autres images, Jeff en avait pris conscience et son esprit ne pouvait plus employer ces artifices pour bâtir l’image de Vanessa. Privée de détails, l’image ne pouvait que se tapir dans son inconscient et absorber de l’énergie pour rester en vie. La dernière évocation la mit au jour, la révélant dans toute sa fragilité.

Une pensée seule, aussi forte soit-elle, n’est qu’un objet statique. Celui qui la contemple suffisamment longtemps, sans la juger, sans y résister, en devient maître et peut alors la remiser dans un tiroir de sa mémoire. C’est cela que Jeff vit avec Vanessa. Il ressentirait certes une certaine affection lorsqu’il la verrait, mais elle serait régulée et ne s’emballerait plus comme un cheval fou. Jeff avait réussi dans sa quête et il en était bien fier. Il avait sauvé non seulement sa vie et celle de celle qu’il pensait aimer, mais il avait aussi grandi dans cette expérience. Ce qu’il avait appris, il en était sûr, allait peut-être un jour l’aider dans un autre combat.

Plusieurs jours passèrent, mais un jour, un incident vint briser le soulagement et le sentiment de victoire de Jeff, si profondément qu’il dut retourner voir le sorcier.

– Sorcier Blackinn, ô grand enchanteur, j’implore votre patience et surtout votre clémence.
– Qu’y a-t-il, Jeff, tu sembles dans tous tes états.
– Je suis désolé, mais je dois défaire ce que j’ai fait.
– Pourquoi?
– Le roi, le roi, balbutia Jeff, il m’a offert Vanessa en mariage pour mes bons et loyaux services. Il a vu que je la dévorais des yeux l’autre jour, avant ma rémission, et veut me l’offrir. Si je refuse, j’ai bien peur que lui ET Arthur me coupent la tête!
– Alors, tu veux retrouver ton amour que tu crois perdu?
– Oui, c’est ça! répondit Jeff, plein d’espoir. C’est possible?
– Pas vraiment, avoua Blackinn. Ce que tu voudrais faire là est plutôt insensé. Ce serait comme tenter de ramener un dragon apprivoisé à l’état sauvage.
– Alors, il y a peu d’espoir. Je devrai me marier, vivre malheureux et faire croire à Vanessa que je l’aime de tout mon cœur?
– Ce serait fourbe et idiot de faire ainsi, admit Blackinn. Mais sache une chose, mon jeune ami. Ton amour pour elle est toujours là. Tu ne l’as pas détruit mais seulement transformé, apprivoisé. Tu retrouveras jamais cet amour frivole et fantasmatique de jeunesse, parce que tu as sacrifié le plaisir pour sauver ta vie. Mais tu y gagneras une joie plus durable que le meilleur des métaux, plus profonde que tous les océans et plus précieuse que le plus magnifique diamant. Le problème est qu’elle n’a pas parcouru le même chemin que toi.
– Que dois-je faire alors?
– Tu devras la mener à travers le même parcours que tu as traversé. Son amour pour toi, s’il existe, sera mis à très rude épreuve, mais il pourrait fort bien survivre et se renforcer, ou se créer s’il n’existe pas encore. N’hésite pas à me l’amener, si tu te sens incapable d’enseigner ce que je t’ai montré ou si elle n’y comprend rien. Parfois, il faut plusieurs bouches pour franchir les cloisons des oreilles fermées.
– J’admire votre sagesse, grand sorcier. J’étais venu pour obtenir un remède contre l’amour, pour ne plus penser à Venessa. Vous auriez pu me donner une potion à prendre à vie qui l’aurait chassée pour toujours de mon esprit. Au lieu de cela, vous m’avez donné les moyens de comprendre les sentiments que j’avais pour elle et permettre à mon esprit logique de faire le nécessaire pour sauver ma vie et la sienne, dans les circonstances passés.
– C’est exact. C’est la beauté de l’esprit humain. Si on ne l’endommage pas par des moyens physiques, rien ne s’y perd. L’esprit conserve et transforme, pour toujours mieux s’adapter au moment présent mais aussi aux changements futurs.
– Je vous remercie, grand sorcier. Je vous serai éternellement redevable pour vos services.
– Ça m’a fait le plus grand des plaisirs. Tu as donné un nouveau souffle à cette technique et en te l’enseignant, je l’ai mieux structurée et l’ai fait évoluer vers le niveau suivant. Comme tu as peut-être commencé à comprendre, elle peut servir à bien d’autres usages que dompter l’amour. Avec un peu d’adaptation, on peut possiblement apprivoiser la colère, l’envie et d’autres vices qui rongent notre espèce depuis la nuit des temps. Cela reste à voir.

3 commentaires

  1. C’est facile de penser que la technique décrite combat l’amour, mais ce n’est pas le cas. Elle va plutôt permettre de comprendre l’origine du sentiment et le percevoir d’une façon plus objective. Donc peut-être devrions-nous tous l’appliquer avant de penser avoir trouvé l’âme sœur? Peut-être. Sais pas.

  2. Il me faut aussi préciser que la technique décrite ici s’inspire de plusieurs sources et de quelques années de réflexion. Je n’ai pas pondu tout ça ces dernières semaines! Voici mes principales sources:
    – La Prophétie des Andes de James Redfield, pour le concept d’énergie universelle.
    – Se libérer du connu de Khrishnamurti, pour le concept de comprendre ses sentiments et pensées
    – La Révolution du Silence de Khrishnamurti, pour le concept de méditation

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