Inspiré d’un fait qui pourrait avoir été ou pourrait potentiellement être vécu.
Mercredi, 13 janvier 2021, ce qui devait arriver arriva. Quand Raymond alluma la TV pour écouter le bulletin de nouvelles du soir, l’écran demeura noir. L’appareil semblait s’allumer d’après le son qu’il émettait, mais aucune image ne s’affichait. Raymond, ne pouvait accepter que son téléviseur le lâchait en pleine période de confinement à cause de la pandémie, devint comme fou et s’acharna. Il tenta pendant près de 45 minutes d’éteindre et rallumer l’appareil, le débrancha, remit le courant, essaya encore. Puis il fit des recherches sur Google, trouva des posts de forums où des gens rapportaient le même problème sans que jamais personne ne propose jamais de solutions. Raymond finit par perdre les pédales et répondit que lui aussi il éprouvait ce problème, demanda pourquoi personne ne répondait, prétexta que c’était parce que les gens avaient finalement décidé de délaisser Internet pour des trucs qui pour lui étaient sans importance, puis constata qu’il était allé trop loin, le regretta et éteignit tout ça.
Il n’y avait rien à faire, il allait falloir que Raymond remplace sa TV ou annule le service de télévision. Il décida d’essayer d’acheter un nouveau téléviseur. Il trouva par chance plusieurs magasins encore ouverts pour des commandes en ligne. Il dut se heurter à un mur, car plusieurs offraient comme option par défaut la cueillette sans contact, qui nécessitait encore une voiture. Raymond regrettait de plus en plus de ne pas avoir obtenu son permis de conduire pendant qu’il le pouvait, avant cette maudite pandémie. Par chance, Raymond put trouver un magasin offrant encore la livraison. Par contre, ils ne pouvaient plus amener l’appareil à l’intérieur, même pas le monter jusqu’à la porte. C’était écrit noir sur blanc, ils allaient déposer l’appareil sur le trottoir en face de tout immeuble de trois étages ou plus, peu importe où se trouvait l’appartement du client! N’importe quoi!
Raymond songea demander à un voisin, mais comment allait-on faire pour rester à deux mètres tandis que nous allions forcer à deux après ça? Au minimum, se dit Raymond, il faudra qu’on mette un masque nous deux. Ouin, dehors, ça pourrait être OK. Puis il se mit à penser que peut-être il serait possible de monter cette TV-là en utilisant une corde. Il se dit au début que ça n’avait pas de bon sens, mais plus cela allait, plus il voulait tenter ça, par défi. Oui, se dit-il, je vais montrer que ça se fait et ce sera unique comme expérience. J’ai réussi à monter ma TV en respectant la consigne sanitaire de distanciation sociale, c’est cool! Cette TV-là va être un symbole d’inventivité!
Mais il était passé 20h45 quand Raymond en eut fini avec ces investigations et ce magasinage imprévus. Il n’avait pas trop envie de se faire à souper. Alors perturbé par tout ça, oubliant aussi bien son masque que le couvre-feu, il partit dans l’idée d’aller se chercher de quoi au restaurant. Pointes de pizza, ça va être pas pire ça. Il ne se ravisa pas à temps: il arriva face à face avec un policier qui l’interpella. Raymond dut expliquer son cas et ça ne passa pas: constat d’infraction! Exaspéré, il rentra chez lui penaud, et tenta de se faire livrer un truc. Cela fonctionna, mais il dut attendre près de 45 minutes et pendant ce temps, nerveux, il grignota tellement qu’il n’avait presque plus faim.
Le lendemain, Raymond partit pour la quincaillerie et tenta d’y trouver une corde. Ils n’en avait pas. Il essaya ailleurs, on lui dit qu’ils n’en vendaient pas parce que ce n’était pas un objet essentiel. Il revint chez lui, chercha sur le site du gouvernement, constata que rien n’était spécifié à propos des cordes, retourna expliquer ça au vendeur qui ne put qu’être désolé. Il essaya ailleurs, put avoir la corde, mais elle était trop courte. Il dut donc s’acheter trois cordes et les nouer ensemble.
Ensuite, il enroula la corde autour de sa vieille TV, le plus solidement possible, et emmena ça dehors. Son idée était de faire un essai, voir s’il pourrait faire descendre et remonter le vieux téléviseur, sans qu’il ne choie au sol. En cas d’échec, Raymond savait qu’il n’avait aucune chance de monter le nouvel appareil sans le casser, pas de cette façon hasardeuse en tout cas.
S’inspirant de techniques pour assurer les escaladeurs, qu’il avait plus ou moins bien comprises et maîtrisées, Raymond plaça un pied sur la corde pour qu’elle soit bien ancrée, puis hissa tant bien que mal son vieux téléviseur par-dessus le garde-fou de son balcon. Bon, voilà, l’appareil pendait dans le vide. Raymond plaça son autre pied sur la corde, se rendit compte que ça ne fonctionnait pas du tout, continua à essayer et finit par trouver un moyen de faire descendre, lentement, la TV, en gardant toujours au moins un pied sur la corde. Bon, ok, ça a l’air de fonctionner. Non désireux de se rendre jusqu’en bas pour rien, Raymond remonta le téléviseur et retourna à l’intérieur. Oui, ça avait ses chances.
Le jour de la livraison, Raymond était prêt. Il était au sol, corde en main, l’autre extrémité attachée au garde-fou de son balcon, attendant le livreur qui ne venait pas. Il était si fébrile à l’idée de ce défi inattendu qu’il n’avait plus le cœur à rien faire. Il en est même venu au point de prendre une journée de vacances, à son travail, pour attendre dans la rue, avec sa corde.
Le camion vint, quelqu’un en descendit, demanda si c’était bien Raymond, et sans vérification supplémentaire, ouvrit la boîte de son camion, en sortit une grosse boîte, posa ça devant Raymond, lui souhaita bonne journée et repartit. C’était fait, c’était simple, c’était réglé… pour le conducteur du camion…
Bon, la boîte, oh pas de chance, pas de poignée pour la soulever. Ah oui, oui, il y a une poignée. Suivant son plan, Raymond enroula sa corde autour de la poignée, plusieurs tours, et fit un nœud le plus solide qu’il put. Il essaya de faire un nœud coulant comme il s’était pratiqué à faire plusieurs fois sans savoir s’il réussissait vraiment. Il ne savait pas plus, aujourd’hui, si son nœud tiendrait ou pas. Mais c’était tout ce qu’il avait.
Bon, la GoPro ou pas? On la met où? Le mieux serait au sol, captant du bas vers le haut? Oui, faudrait qu’on puisse me voir hisser la boîte, se dit-il, mais le seul endroit où ça fonctionne, Raymond avait fait plusieurs essais, c’était sur un pot de fleur l’autre côté de la rue! Il y avait un risque significatif de se faire voler la caméra, mais Raymond décida d’essayer quand même.
L’appareil installé, batterie chargée à bloc, enregistrement en marche, Raymond retourna à sa boîte. Il vérifia une dernière fois la corde, puis il gravit les marches jusqu’à son étage, pour ensuite atteindre le balcon.
Raymond détacha la corde du garde-fou, pour se rendre compte qu’elle n’était pas tout à fait assez longue. Il ne pouvait pas mettre un pied dessus avant d’avoir mis un peu de tension dedans. Alors il tira et, dès que la corde put toucher terre, il la bloqua avec son pied droit. Il tenta de tirer la corde, avec précaution, pour ne pas donner trop de coups, ce qui risquait de défaire son nœud en bas ou briser la poignée de la boîte. Lorsqu’il put, Raymond plaça son autre pied sur la corde, puis vint à bout, alternant un pied et l’autre, de tirer la boîte vers le haut, en gardant toujours un pied sur la corde pour la maintenir bien en place. Ce fut une bonne idée, car rendu au première étage, la boîte flottant dans les airs suspendue par la seule corde, Raymond était fatigué, en sueur, et dut se reposer un peu, comptant sur son pied pour maintenir la boîte en place. S’il lâchait, là, il risquait d’endommager son nouveau téléviseur.
Jusque-là, tout allait bien, mais entre le premier et le deuxième étage, le vent se leva et se mit à souffler sur la boîte, la faisant se balancer dangereusement. La corde, mise à l’épreuve, semblait craquer, et Raymond avait plus de misère à tirer la boîte, on aurait dit de plus en plus lourde, vers le haut. Le vent soufflait, on aurait dit, dans toutes les directions, ballottant la boîte dans tous les sens. Puis ce qui devait arriver arriva: la boîte percuta le mur de briques, une fois, deux fois, trois fois puis à répétition.
Paniqué, Raymond ne savait que faire et finit par en crier de désespoir. « FAIS PAS ÇA! hurla-t-il, au vent. ARRÊTE!!!!! » Évidemment, le vent n’obéit pas. On aurait même dit qu’il soufflait encore plus fort en réponse à l’ordre ridicule de Raymond.
Raymond tenta de redoubler d’efforts, pour tirer la boîte plus vite vers le haut. Il se dit que plus il y avait de corde entre lui et la boîte, plus ça allait se balancer et taper partout. Le vent finit par cesser de s’acharner à frapper la boîte contre le mur de briques, pour plutôt se rabattre sur l’arbre non loin de là. La boîte avec le téléviseur finit par se coincer dans l’arbre. Raymond eut beau tirer, tirer, tout essayer, la boîte ne bougeait plus. Il en cria de rage et finit même par en pleurer! NON! NON! NON!
Il se rendit ensuite compte qu’il pouvait peut-être, de là où il était, atteindre la boîte. Il s’étira le bras, gardant un pied sur la corde. Il y toucha presque mais pas assez. Alors, oubliant la corde, oubliant son pied, il s’étira davantage. La corde avec plus de mou permit à la boîte de bouger. Le téléviseur bascula, d’abord lentement, puis se dégagea de l’arbre. Affolé, Raymond poussa un cri de panique avant de carrément abattre son pied sur la corde! Le téléviseur n’atteignit pas le sol, mais il était de retour au premier étage.
Alors Raymond força encore et dut à nouveau être confronté au vent qui ballotta le téléviseur dans tous les sens. Un moment donné, la boîte tournoyait comme une toupie et la corde craquait. On entendait la poignée de la boîte, elle aussi mise à rude épreuve, craquer, menaçant de céder d’un instant à l’autre. Raymond était en sueur, il crut qu’il allait mourir! TANG! Encore dans le mur de briques. BANG! Dans la fenêtre, cette fois! Affolé à l’idée que ça ait craqué la vitre et que ça puisse finir par la casser, Raymond poussa un nouveau cri et tira encore sur la corde. « Si ça casse je vire fou, » pensa Raymond.
Rendu au niveau du deuxième étage, eh bien la boîte se coinça encore dans l’arbre. Là, Raymond a tellement crié qu’il a fini par en avoir mal à la gorge. Il a suffi qu’il donne un peu de mou pour que la boîte bascule un peu et se dégage de l’arbre, sans retomber au premier étage cette fois. Raymond tira alors encore, dut dégager la boîte au moins deux autres fois de l’arbre, mais un moment donné, oui un moment donné, il put toucher la boîte et la hisser de peine et de misère sur le pallier où il se trouvait.
Il se traîna, lui et sa maudite boîte, jusqu’à la porte, la poussa, fit entrer la boîte de peine et de misère et poussa un soupir de soulagement. Au moment où il s’apprêtait à fermer la porte, le voisin d’en face ouvrit et lui demanda: « As-tu besoin d’aide? » « Plus maintenant, répondit Raymond. Merci. » Comme la police dans les films à suspens, cette âme charitable arrivait trop tard, quand tout était fini.
Lorsque Raymond eut fermé la porte, il s’effondra par terre, à bout de souffle. Il lui fallut plusieurs minutes pour reprendre ses moyens, après quoi il entreprit de sortir cette foutue TV de sa boîte et déterminer si, contre toute évidence, malgré tous ces mauvais traitements par monsieur le vent, si cet écran allait ne serait-ce qu’allumer. Raymond avait quasiment peur de l’essayer. Il songea attendre le lendemain, mais se dit que bon, autant le savoir là.
En déballant l’appareil et en l’installant sur son meuble à la place de l’ancien, Raymond constata que le nouveau téléviseur était pas mal plus léger que l’ancien. Il estime qu’il aurait pu le soulever et le monter sans avoir besoin de la corde et tout. Probablement il aurait été obligé de prendre des pauses à chaque pallier, mais ça aurait mille fois mieux valu que cette affaire de corde qui risquait d’avoir brisé l’arbre, rayé une vitre et, encore pire, endommagé le nouveau téléviseur.
L’appareil avait quelques grafignes sur le boîtier, à cause des chocs, mais c’était en arrière. Le plus important, c’était que, par chance inouïe, il allumait encore!!! Raymond prit soin de tester toutes les entrées de l’appareil, qui fonctionnaient correctement.
Par contre, quand il en eut fini avec tout ça, il constata avec un pincement au cœur qu’il avait oublié sa GoPro dehors et qu’il faisait maintenant noir! Sans se soucier de l’heure qu’il était, il pouvait être passé 20h et il ne le savait pas, il sortit pour aller la chercher. Eh bien il eut beau chercher, chercher, chercher, il ne put jamais retrouver sa GoPro. En plus, un policier passa sur sa rue et l’interpella pour violation du couvre-feu, une deuxième fois. Il dut expliquer qu’il cherchait sa caméra qu’il avait oubliée et qu’il était juste à côté de chez lui. Le policier n’avait pas l’air super content, mais il ne lui donna pas de constat d’infraction. Au moins ça…
Raymond avait certes réussi à résoudre son problème de téléviseur, mais à quel prix? Il en avait perdu sa GoPro, avait eu tellement chaud qu’il a dû mettre son manteau au lavage et en plus, le lendemain matin, quand il retourna chercher pour la GoPro (il ne la retrouva jamais), il remarqua une épouvantable rayure sur la vitre qu’avait percutée sa maudite boîte. Il dut dédommager son voisin pour ça, en plus de tout ça. En bref, ce n’était pas une super bonne idée, la corde.