Il y a eu ce vendredi, 12 mars 2021, une épique bataille entre Rémi et sa machine à pain. Pour la énième fois, le pain resta collé dans le moule. Rémi, agacé, dut se résigner à se battre avec ça. Il sortit un couteau et tentant de le passer entre le pain cuit et le moule pour le décoller. Puis il vira le moule à l’envers et le secoua; le pain ne bougea pas. Il essaya encore avec le couteau, en vain, s’impatienta, essaya encore, cela coupa des bouts du pain plutôt que juste le détacher du moule. Il savait aussi que l’un des bras pétrisseurs pouvait rester coincé dans le pain après le démoulage, demandant parfois près de cinq minutes d’essais pour venir à bout de l’en sortir.
Mais cette fois, le pain resta coincé dans le moule. Après plus de quinze minutes d’essais avec le couteau et même avec une pince pour tenter de tirer le pain vers le haut, Rémi en était à pousser des cris de rage. Il lança le moule à bout de bras, le repris, le fracassa sur le comptoir avec une violence aussi inutile que démesurée. Les poques qui en résultèrent signeraient l’arrêt de mort de son comptoir de cuisine qui allait devoir être remplacé, en pleine pandémie, avec les mesures sanitaires, juste ça faisait chier, mais ce n’était que le début.
Avec la pince, Rémi vint à bout de sortir le pain du moule.. en plusieurs morceaux. Cette miche serait inutilisable pour faire des tranches! Il n’y aurait que des retailles, inutilisables pour faire des rôties, sandwiches et tout. Il allait devoir les beurrer et les manger comme ça. Rémi avait dans l’idée de se faire un sandwich ce midi-là. Il avait acheté de la viande pour ça. Et là, à cause de cette maudite machine à pain, qui en plus faisait des bruits de vieille carlingue depuis trois mois et le moule avait commencé à couler, eh bien là il devait se trouver un autre repas. En plus, plein de morceaux de pain étaient encore collés dans le moule. Rémi allait devoir gratter, frotter, frotter, gratter. Il y avait des morceaux de pain par terre et des graines, oh là là des graines, il y en avait tellement que ça en faisait pleurer.
C’en fut trop. Là, il vira fou. Il sortit sur son balcon, machine à pain en main et poussa d’horribles cris avant de lancer le moule plein de morceaux de pain collés à la ronde. Le moule virevolta jusqu’en bas et alla fracasser la vitre d’une voiture. N’est-ce pas terrible? N’est-ce pas pire que tuer quelqu’un, endommager cette chose si importante pour bien des gens? Qui n’a pas déjà dit une fois, au moins une, que sans sa voiture, il n’aurait pas de vie? Alors la logique rendue boiteuse par le surmenage ou la furie permet facilement d’en venir à penser, l’espace d’un instant, qu’endommager une voiture est comme faire du mal physiquement à son propriétaire! Rémi sentait qu’il méritait la prison pour avoir fait ça, mais il ne voulait pas aller en prison, alors ce dilemme intérieur le poussa à une colère irrationnelle. L’espace d’un instant, il était persuadé que c’était à cause de cette machine à pain qu’il irait finalement en prison, après avoir gaspillé des années à essayer d’éviter de se ramasser là-dedans! Alors là, il retourna à l’intérieur, sortit un tabouret, « posa » ça par terre (le fait que cela fit un gros TAOC qui résonna pas mal, peut-on encore parler de poser?), plaça la machine sur le tabouret, revint avec un bâton et fessa là-dessus comme un malade, sans jamais cesser de crier!
Le résultat ne se fit pas attendre. La police débarqua, demanda à Rémi de se calmer, il réussit un peu, mais on lui demanda de venir avec eux. Rémi eut le malheur de protester, juste dire « non »; on lui passa les menottes. Il tomba sous la loi P38, car il avait les mains en sang, à force d’avoir gossé avec la machine à pain et donné des coups de bâton. Les policiers pensèrent qu’il était pour se faire du mal ou en faire à d’autres.
« Et si un passant avait été sur le trottoir quand tu as lancé ton cossin de ton balcon? Ou quelqu’un dans l’auto? As-tu regardé où tu pitchais ça? » Rémi ne put que pleurnicher que non, pris de regrets. Il était allé trop loin cette fois. En plus, il se pouvait qu’il soit accusé de menaces, à cause du bâton. Ce serait un juge qui déciderais si Rémi avait l’intention ou pas de retourner son bâton qu’il avait encore en main contre les policiers! Oui oui, on pouvait l’accuser de ça aussi.
Rémi passa une dizaine de jours à l’hôpital où il subit une évaluation psychiatrique, puis on le laissa sortir, avec ordonnance de congé maladie. C’est ainsi que Rémi perdit la bataille contre la machine à pain. La machine, bien qu’endommagée par le temps, fonctionnait encore après l’intervention de Rémi. On retrouva le moule dans l’auto à la vitre cassée et le frère de Rémi récupéra moule et machine, testa la machine et trouvait qu’elle fonctionnait #1. Fallait juste mettre du PAN, beaucoup beaucoup de graisse, sur le moule, et enlever les bras pétrisseurs juste avant que la cuisson ne commence; il y avait une application iPhone (mais pas Android, jamais Android, faut toujours forcer les gens à migrer vers iPhone pour éventuellement les forcer à revenir à Android puis les pousser à revenir à iPhone) pour rappeler à l’utilisateur d’enlever les bras pétrisseurs exactement au bon moment.
Rémi, pour sa part, était maintenant en arrêt de travail, devait prendre des médicaments et risquait un casier judiciaire pour méfait sur une voiture, entrave au travail des policiers et peut-être même menace de voix de fait avec un objet contondant. On ne peut pas dire, avec quelque argument logique que ce soit, qu’il s’en sortait vainqueur, loin de là.
C’est comme ça que la machine peut vaincre l’homme. Ne la laissons pas nous terrasser tous, un après l’autre. Ne laissons pas les machines nous rendre fous.