Il avait soigneusement préparé le rituel. Les runes étaient tracées sur les pierres. Le sort éliminerait les ronces et la racaille de tous les royaumes. Le filtre était parfait, ça ne pouvait que fonctionner. Puis sans plus attendre, il termina le rituel. Rien ne se passa. Alors le magicien perdit patience, donna un coup de pied et cela déplaça une pierre sans qu’il ne s’en rende compte. Il tenta de déclencher le rituel une seconde fois sans attendre.
Tout se figea. Le rituel ne devait pas mettre autant de temps à agir. La végétation devrait commencer à s’améliorer autour de la chapelle de laquelle il avait invoqué les dieux pour lui permettre de nettoyer les royaumes de toute cette vermine. Les mauvaises herbes seraient éliminées, les gens malhonnêtes disparaîtraient et la paix serait ainsi restaurée. Il subsisterait, après le rituel, de grands espaces cultivables, et toutes ces casernes militaires improvisées pourraient à nouveau redevenir des écoles, des églises et même des épiceries. Oui oui, on avait tout reconditionné, tout défiguré, pour faire la guerre, au détriment des générations de demain, et on en avait oublié qui étaient nos ennemis, au début.
Le magicien alla voir dehors et constata qu’absolument rien ne se passait. Agacé, il retourna à l’intérieur vérifier son rituel et poussa un cri de fureur. Il avait commis une très grossière erreur: le rituel allait tout détruire! Il tenta de déplacer une pierre pour interrompre le flux d’énergie runique, en vain. Il songea tenter de détruire la pierre maîtresse, mais cela risquait de fausser davantage le sort et provoquer une déchirure dans le tissu magique qui pouvait être encore plus dommageable que l’acte initial de destruction. Alors, le magicien désemparé ne put que regarder la fin de son monde.
Autour de lui, la capitale dans laquelle se trouvait la chapelle d’où il avait opéré était en proie à une pluie de graviers, de grêlons et d’huile brûlante qui enflammait tout sur son passage. Tout était pulvérisé. Toute personne dehors était tuée quasi instantanément. Ceux qui étaient à l’intérieur étaient tués aussi.
À l’est de là, on pouvait apercevoir le royaume des bardes, propagateurs du chant et de la musique réparatrice de l’âme. Une gigantesque vague s’était formée et balayait tout. Les gens furent jetés au sol si violemment qu’ils en moururent. Les bâtiments s’écroulèrent, les parcs s’envolèrent, il ne resterait plus rien bientôt. Tous ces chants, tous ces poèmes musicaux, toutes ces symphonies, ne pourraient jamais plus être entendus.
À l’ouest, le village réservé aux artistes du théâtre fut frappé des plus violentes bourrasques qui soient. Il y avait là de grands spectacles qui se préparaient en permanence, parfois des reproductions d’anciennes œuvres, et parfois des nouvelles. Des mises en scène avec des effets de plus en plus sophistiqués essayaient de reproduire la réalité avec parfois une grande fidélité, parfois entachée d’un flou artistique contrôle (ou pas). Non pas seulement ces gens furent-ils détruits, mais toutes leurs œuvres avec eux. Voir cela avait de quoi mettre les armes aux yeux, mais ce n’était que la moitié du carnage!
Au nord, les scribes, gardiens du savoir et des histoires, disparurent, avec leurs œuvres toutes entière! Les flammes d’un brasier infernal dévorèrent tout. Le feu bleu, impossible à éteindre, fit fondre le plus résistant des métaux et le brûla, ne laissant aucune trace.
Au sud, il y a eu la purge de ces rebuts divers. Il y avait là ces gens qui ne voulaient pas travailler, qu’on laissa vaquer à leurs occupations pour cesser de les entendre chialer. Qu’ils se lancent des flèches, qu’ils se donnent des coups selon des règles enfantines comprises d’eux seuls, qu’ils mettent le feu où bon leur semble, qu’ils noient leur prochain, animal ou humain ou pas, dans un chaudron d’eau bouillante, pourvu qu’ils ne sortent pas de leur périmètre qui s’agrandissait à l’insu de l’empereur, ses proches et tous les autres qui de toute façon n’ont rien à dire sur les décisions impériales. Pour ces oisifs, le sol s’ouvrit et les engouffra, eux et leurs bâtiments, leurs flèches, leurs tablettes de règles absurdes, tout.
Le grand cataclysme ne laissa rien, à part un grand cri de désespoir et de rage qui ne trouva même pas écho. Le désastre était si grand, l’erreur était si énorme, la destruction si bête, qu’elle en perturba les lois de la physique. Ces ondes supposées faire vibrer l’air ne le firent pas, ou le firent d’une autre manière, et rien ne se passa pour l’oreille humaine.
Le magicien ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. Quelques sorts de protection simples mais longs à appliquer auraient pu permettre de sauvegarder l’essence de ce qu’il y avait, permettant de reconstruire plus facilement ce qui avait été dévasté. Mais là, il était trop tard et il ne restait plus que la rage. Il n’y avait même plus sur lequel se taper la tête, alors le magicien ne put que pleurer et crier jusqu’à en mourir de faim et de soif. Oui oui, cela alla jusque-là!
Tout ceci à cause d’une simple commande. L’idée était bêtement de supprimer un répertoire du disque dur, avec cette commande maintes fois utilisée: rm -rf /media/nas/Multimedia/OBS. La commande échoua en raison de permissions insuffisantes, l’utilisateur s’impatienta et sans regarder ce qui clochait, la préfixa de sudo.
Oh mais ce foutu clavier avait ajouté un espace là où il ne fallait pas. La commande initiale était faussée, mais le système avait su se protéger et bloqué l’ordre: permission non accordée. Mais en préfixant sa commande de sudo, l’utilisateur avait demandé à Dieu de lui accorder le pouvoir d’outre-passer le verrou et BANG!
sudo rm -rf / media/nas/Multimedia/OBS
Cette commande supprime le répertoire racine, donc tout le système de fichiers, et puis tente de supprimer le répertoire media/nas/Multimedia/OBS qui n’existe pas; il n’y a même pas de répertoire media dans le répertoire courant.
Cette commande bien simple va tout effacer, tout ce qui se trouve sur tous les disques du système: les fichiers de musique (le royaume de bardes), les vidéos (les artistes de la scène), les documents écrits (le travail de nos scribes) et tout le reste (jeux et logiciels qui prennent plein d’espace inutilement, le pays des oisifs). Faire des sauvegardes, c’est la seule façon de réduire les conséquences d’une pareille stupidité, qui peut arriver n’importe quand!
N’est-il pas fascinant de savoir qu’on peut détruire un royaume si facilement? Se pourrait-il que notre propre univers soit aussi régi par la présence de fichiers sur un disque dur? Une simple erreur d’utilisation et tout ce beau trésor de galaxies, constellations, étoiles peuplés par toutes sortes de choses qu’on ne peut même pas concevoir avec nos esprits étroits, disparaît, sans laisser de trace, si faire souffrir qui que ce soit. Pouf, sudo rm -rf /. Adios!