Je voudrais vous raconter l’histoire de Joseph McEnzie et sa fameuse entreprise non rentable. Un soir, son ami et lui se sont visités et ont bu un peu trop. Jacques, l’ami de Joseph, ne cessait de l’agacer, jusqu’à ce que Joseph se choque. Un instant, il songea donner une bonne claque à son ami Jacques, mais une idée saugrenue qui avait germé dans sa tête depuis deux semaines s’imposa à lui. Jacques avait gardé ses cheveux longs, ne les avait pas coupés depuis le début de la pandémie. Joseph trouvait ça aberrant: pourquoi garder ces cheveux longs mais les attacher avec un élastique pour cacher ça? Il décida de se défouler là-dessus plutôt que sur le pauvre visage de son ami.
Alors, assis à côté de lui, il passa sa main derrière la tête de Jacques et d’une main, se saisit de ses cheveux et de l’autre, de l’élastique qui les tenait ensemble. Il tira l’élastique vers le bas, les cheveux vers le haut, ne sachant que plus ou moins ce qu’il faisait. Pour Jacques, cela lui tira un peu les cheveux. Il y a eut un moment où ce fut très douloureux, mais bref. L’élastique tomba on ne savait où. Jacques, un peu surpris, ne comprenant pas ce que son ami voulait faire, n’émit que peu d’objections, jusqu’à ce que Joseph se mette à lui jouer dans les cheveux énergiquement. Il les lui mélangea bien comme il faut. Ça tirait un peu mais pas trop, car Joseph tenait une poignée de cheveux d’une main et s’amusait avec de l’autre. Mais ça tirait quand même, c’était tannant et Jacques demanda à Joseph d’arrêter, qui continua encore un peu. « J’t’ai dit d’arrêter d’puis tantôt pis tu continues. Tiens, voilà c’que je vais faire avec tes cheveux. Aye c’est laid, c’est con ton affaire. R’garde ben ça! » Joseph, qui avait l’air choqué dans sa voix mais pas dans ses actes irrationnels, il semblait jouer plus que déchaîner sa rage, prit entre ses doigts un bon paquet de cheveux, serra de la main gauche, puis de la droite, tira, twista, dans tous les sens, de toutes ses forces. Il avait dans l’idée de s’arracher là un trophée de la victoire bien méritée, mais les cheveux de Jacques résistèrent aux mauvais traitements de Joseph. Il continua à les lui mélanger jusqu’à ce que Jacques crie et menace de le tuer, puis Jacques partit enfin. Ni Joseph ni Jacques ne parvinrent à retrouver l’élastique, qui avait disparu on ne sait où. Jacques dut repartir avec ses cheveux libres, y arrivant à peu près jusqu’aux épaules, pendant qu’il lui en restait encore. Il regretta de ne pas s’être emmené une tuque pour cacher tout ça. C’était tout ébouriffé, on aurait dit un pouilleux. Jacques était plus agacé que choqué. Si Joseph avait sorti des ciseaux et lui avait coupé des bouts de cheveux, Jacques croit qu’il l’aurait frappé à coups de poing, voire étranglé, mais là, il pouvait se dire que c’était juste con, son affaire.
Jacques ne comprenait pas trop le geste de Joseph… jusqu’à son retour à la maison. Il prit une douche après quoi il dut passer près de quarante-cinq minutes à essayer de se démêler les cheveux. Chaque coup de peigne faisait tomber des bouts de cheveux. Pire encore, si Jacques mettait un élastique (il en avait plusieurs), ça lui tirait les cheveux tout le temps, à présent. Certains des cheveux sur lesquels Joseph avaient tiré énergiquement s’étaient cassé à l’intérieur. Ils tenaient par certains éléments structuraux, mais ils étaient cassés en-dedans. Ils furent rejetés par le corps de Jacques et tombèrent. Le problème, c’est que chaque cheveu se brisa indépendamment, à sa guise. Cela se fit lentement si bien que pendant trois jours, Jacques perdit des bouts de cheveux, jusqu’à ce que ça devienne super lait son affaire. Pour égaliser ça, il allait falloir couper ça pas mal. Chaque fois, ça lui tirait et ça tenait plus ou moins quand il mettait l’élastique. Un moment donné même, trop de cheveux retenus par l’élastique cassèrent et tout ça tomba. Au final, Jacques dut se faire couper les cheveux. Il demanda à son coiffeur de lui faire quelque chose qui allait permettre de garder ses cheveux le plus longs possible, sans que ça soit laid. Le coiffeur fut bien perplexe, demanda des explications sur ce qui s’était passé là, recommanda à Jacques de se tenir loin de Joseph qui avait été bien vilain de faire ça, eut bien de la misère, mais trouva une solution. Jacques ne parla plus jamais à Joseph; il lui en voulait parce qu’il aimait beaucoup ses cheveux et en prenait grand soin.
Joseph, lui, loin de s’en formaliser, rit à maintes reprises de son idée. Jacques lui envoya des photos avant et après la coupe avant de le bloquer de ses réseaux sociaux. Une semaine plus tard, Joseph avait un colis: des bouts de cheveux de Jacques, tiens amuse-toi! Inspiré, Joseph décida d’offrir ses services. Il se dit que plusieurs personnes avaient perdu la motivation à cause de la pandémie. Celles qui ne s’étaient pas fait couper les cheveux depuis le début auraient maintenant accès à un traitement innovateur: la coupe Chaos!
Cela fonctionne comme suit. Toi, pouilleux ayant perdu l’envie d’innover, tu vas voir Joseph, tu t’assois sur la chaise et lui présente ta crinière. Joseph va alors examiner les cheveux et en établir la résistance, pour que ça casse aléatoire, pas trop, par après. Joseph prend alors des paquets de cheveux d’une main, serre fort et puis utilise l’autre main pour tirer, tordre et faire des mouvements rotatifs. Au début, des cheveux cassaient par accident, mais Joseph est maintenant un « professionnel »: ça casse presque jamais sur place. Joseph va répéter la manœuvre entre 7 et 13 fois, avec des poignées de cheveux différentes cela va de soit, ça ne fait que rarement mal, presque plus jamais depuis qu’il est « professionnel » dans le domaine unique. Il y a même l’option de faire faire des nœuds dans les cheveux, n’est-ce pas merveilleux? Les nœuds sont conçus pour être relativement faciles à défaire, mais il vaut mieux prévoir quelques heures de travail par nœud. Puis client « satisfait », tu repars bredouille.
On attend ensuite une semaine, pendant laquelle tu perdras des bouts de cheveux. Certains clients les ramassent et les gardent, d’autres les jettent. C’est à leur guise. La perte de bouts de cheveux se fait habituellement dans les premiers jours, mais on attend une semaine pour être sûr, des fois il y a des surprises. Les nœuds, si tu as pris l’option, c’est bien important de les défaire dans les jours suivants, pas trop attendre, parce que des fois les cheveux cassent noués ou pendant la frustrante opération de dénouage.
Ensuite, tu te présentes chez le coiffeur de ton choix et demandes la chose suivante: « Est-ce que ce serait possible de faire de quoi de beau mais en couper le moins possible? » Maudit que les coiffeurs haïssent ça! C’est facile de tout raser. C’est facile d’égaliser aux ciseaux. C’est facile de couper ça court et garder le même style. Faire de quoi de neuf par-dessus un existant tout croche, ça c’est du vrai défi! Mais le travail développe la créativité, l’intuition, la patience (du client et du coiffeur) et la persévérance. Le client qui regarde le résulta en retire joie, soulagement, inspiration et goût de vivre! Tout le monde en ressort gagnant, non? Pas vraiment, parce que personne n’a envie de faire appel aux services de Joseph. Triste, n’est-ce pas?
La coupe Chaos offre un moyen imagé d’expliquer le développement de logiciels et l’optimisation. On a essentiellement deux choix pour faire évoluer un logiciel: y aller par itérations successives, corrigeant des défauts et améliorant la fonctionnalité avec un minimum de perturbations, ou bien tout casser, reprendre à zéro et espérer faire mieux pour finalement faire pareil ou pire. Alors peut-être la solution serait l’approche hybride: refaire à neuf un certain nombre de composantes du logiciel, choisies au hasard, avec un minimum de perturbations sur ce que la bonne chance a décidé de garder. Et l’optimisation dans tout ça? Faire ça beau quand on peut couper autant qu’on veut, c’est une chose, mais si on doit garder ce qui reste, tout croche, tout cassé, sans la possibilité d’ajouter des bouts de cheveux, en enlever le moins possible, on a un objectif (faire ça beau) et des contraintes (ne pas trop en couper). L’objectif sans contrainte est facile à atteindre (on va tout raser ou égaliser). Il est impossible à atteindre s’il y a trop de contraintes (faire ça beau sans rien couper). L’art est de correctement définir l’objectif et les contraintes pour que le problème soit difficile mais réalisable.