Une prison sans barreaux

Richard savait que le gouffre dans lequel il s’apprêtait à plonger de nouveau abritait les portes des enfers. Leurs sceaux était plus fragiles que jamais, en avait-il bien l’impression, mais il lui fallait y aller, pour essayer de sortir de là, une nouvelle fois, ses compagnons d’infortune.

Tout a commencé environ deux ans plus tôt, quand les attaques de zombis ont débuté partout dans le monde. Il y a eu une première vague pendant laquelle les gens apeurés se sont cachés, obéissant aux consignes gouvernementales de rester chez soi. Les forces de l’ordre et l’armée ont réussi à repousser l’invasion de zombis et les chercheurs ont travaillé fort jusqu’à trouver des moyens de retarder la zombification des personnes contaminées, sans toutefois l’enrayer complètement.

Par contre, quelques mois plus tard, une seconde vague de zombis déferla sur le pays, ne laissant aux gens aucune chance. Il n’y avait aucune solution: il fallait se cacher. Richard était seul, isolé de sa famille qui habitait dans une autre ville. Il ne pouvait pas les rejoindre sans risquer de se faire transformer en zombi. Alors, il se cacha chez lui un temps, mais les zombis, insistants, frappaient à sa porte régulièrement, menaçant de la lui défoncer.

Richard garda contact avec sa famille ainsi que deux de ses amis, Jacques et Drianna, jusqu’à ce que les réseaux de communication soient détruits par les zombis. On perdit l’électricité quelques jours plus tard et puis l’approvisionnement en eau potable fut interrompu. Richard, seul, livré à lui-même, était exaspéré. Pour toute aide, il n’avait qu’une voix intérieure lui répétant la suggestion insensée de Jacques d’aller les rejoindre, lui et sa conjointe, dans une caverne non lui de chez eux. Ils pensaient tous deux que là, ils seraient à l’abri des zombis. Cela impliquait une marche à découvert et après, une vie avec Jacques et Drianna qui avaient tous deux des problèmes de consommation. Richard, accablé par les soucis, risquait de sombrer lui aussi, se mettant à boire et à fumer chaque jour de plus en plus. Jacques avait aussi un insensé fantasme: que Richard fasse l’amour avec sa blonde Drianna. Il trouverait ça bien drôle si ça pouvait arriver. Richard s’était juré de ne jamais céder, mais seul avec eux deux dans une caverne, il n’était pas sûr de pouvoir tenir indéfiniment.

Mais c’était ça ou finir zombi, parce que la porte de son logement n’allait pas tenir des lustres à ce rythme. Déjà, la vitre était craquée. Un soir, un seul, Richard avait oublié de la verrouiller, un zombi était entré et il avait dû se défendre avec un bâton. Ça n’avait vraiment pas été beau, le son du crâne de zombi fracassé, Richard s’en souviendrait toujours. S’il pouvait éviter de revivre ça, dans la caverne, il se dit que ça pouvait valoir la peine.

Alors un bon jour, Richard est parti de chez lui, bâton en main, prêt. Il dût massacrer trois zombis pour atteindre son but, mais il réussit, la caverne, elle était là, comme l’avait promis Jacques. Les deux amants étaient bien contents que leur ami commun entende enfin raison. Tous trois s’abritèrent dans la caverne et développèrent une étrange relation connue d’eux seuls.

Jacques s’amusait à agacer Richard avec son fantasme, jusqu’à ce que ce dernier pogne les nerfs au point de passer proche s’en aller, mais il ne pouvait pas, préférant ceci aux zombis. Drianna, lassée, menaçait parfois de mettre Jacques à la porte, mais elle avait le cœur trop grand pour lui infliger cela, alors elle l’endura.

Un bon jour, un petit chat fit irruption dans la caverne. Il se lia d’affection aux trois habitants, surtout Richard qui l’affectionnait beaucoup. Richard aimait beaucoup les félins, adorait leur flatter le poil. Jacques aurait mieux aimé qu’il le flatte lui ou qu’il flatte sa blonde plutôt que le chat, mais bon, c’était ainsi. Jacques et Drianna aimaient beaucoup le chat, mais c’était celui de Richard. Ils le nommèrent Rossy d’un commun accord.

Drianna, pour sa part, découvrit que la bouteille de gin qu’elle avait emportée ne se vidait jamais. Chaque fois qu’on pensait qu’il n’en restait plus, on parvenait mystérieusement à se verser un autre verre, puis un autre, puis un autre. On ne sait pas exactement pourquoi cette bouteille était devenue infinie, mais cela aida à tenir. C’est surtout Drianna qui se gava de gin, parfois jusqu’à sombrer dans un sommeil troublé, mais Jacques aussi en abusait, et Richard prit plusieurs coups mémorables.

Et qu’en est-il du joint de cannabis que Jacques se roula un jour, et qui ne cessa jamais de brûler? On ne sait pas pourquoi il pouvait toujours le rallumer et en tirer une autre puf, puis une autre, puis une autre, et encore une autre. Il ne restait pourtant que le filtre. Drianne et Richard prirent certes plusieurs pufs dans ce mystérieux joint, mais c’est surtout Jacques qui en profita.

Au début, Richard s’entendait mieux avec Drianna, car Jacques était plus souvent qu’autre chose désagréable, ne cessant de répéter la même chose. Richard en vint à se coller sur elle, mais il ne céda jamais au fantasme de son ami. Mais Drianna sombra. Jour après jour, elle devenait plus amorphe, affectée par le gin de la bouteille sans fin. Jacques en vint à moins consommer pour essayer de prendre soin de sa blonde, mais ce fut vain et futile. Spectateur impuissant, Richard en venait presque à regretter les zombis, mais il ne pouvait se résoudre à les quitter.

Un bon jour, Richard en eut assez de voir ces deux personnes sombrer, s’enfonçant de plus en plus. Quand ils ne se criaient pas après, ils buvaient, fumaient ou dormaient. Le soulagement que son chat lui apportait était minime, et en plus l’animal avait peur à cause des disputes. Alors Richard osa le terrible: sortir de la caverne, brièvement, pour prendre l’air. Il trouva là un spectacle majestueux. La ville qu’il avait quittée avait été remplacée par une splendide plage. Le ciel était bleu, le soleil brillait. S’il restait encore des zombis, c’était comme s’il n’y en avait plus. Il fallait que Richard en ait le cœur net, il fallait qu’il explore davantage, mais il ne voulait pas le faire seul: il pensait que ses amis aimeraient voir ça et l’accompagner.

  • Ah, Richard, t’étais où? demanda Jacques, soulagé.
  • J’suis parti explorer. Dehors.
  • T’es fou!!! balbutia Drianna d’une voix pâteuse.
  • Ben non, c’est beau là-bas! s’exclama Richard, enthousiaste, mu par une énergie nouvelle. On dirait qu’il y a plus de zombis. Faut vraiment qu’vous veniez voir ça!
  • Ouin mais j’ai une mauvaise nouvelle, annonça Jacques. Rossy est malade.
  • Hein, mais qu’est-ce qu’il a? demanda Richard, atterré.

Le chat couché par terre remuait à peine, à part la queue qui se faisait aller un peu. Il poussait des miaulements plaintifs et semblait avoir du mal à respirer. « Ah non, non non! » fit Richard, se penchant pour flatter l’animal. Aussitôt, le chat reprit vie, quasiment comme si rien ne s’était passé.

Les jours suivants, Richard essaya de convaincre Jacques et Drianna de le suivre dehors. « Mais pourquoi? » s’objecta Jacques. « Qu’est-ce qu’on peut faire là-bas qu’on ne peut pas faire ici? On est bien ici. » Richard essaya d’argumenter que le monde extérieur était vaste et offrirait à nous trois des opportunités insoupçonnées. S’il y avait la moindre chance que c’en soit fini des zombis, ça valait la peine d’aller là. Mais Jacques n’avait aucune attache: sa famille faisait presque comme s’il n’existait pas. Il en était de même pour Drianna dont les parents étaient malades et les frères partis au loin. « Pis qui nous dit que ta famille sont pas tous devenus des zombis? » fit remarquer Jacques. Richard commençait à douter.

Richard resta certes dans la caverne avec ses amis, mais il tenta malgré tout quelques sorties. Il voulut amener Rossy avec lui, mais l’animal refusa catégoriquement de franchir la porte. Si Richard essayait d’emmener Rossy dehors, le chat grognait, griffait et s’il insistait trop, l’animal se mettait à suffoquer! Rossy devait rester dans la caverne, et Richard aussi pour ne pas que le chat tombe malade. Quelle histoire bizarre!

Il parvint à convaincre Drianna de venir faire un tour dehors avec lui. Elle trouva merveilleuse la plage, mais elle n’osa jamais plonger dans la mer. Richard eut bien envie, mais dépourvu de maillot de bain, il aurait été obligé de se mettre à poil devant elle et n’osa pas. Drianna voulut se prendre une bonne lampée de gin pour se rendre compte: « Hé, ma bouteille est finie! Elle en a fait du chemin celle-là. » Drianna faillit la lancer à la mer, mais Richard la retint: « Fais pas ça! C’est peut-être comme avec Rossy. Ça fonctionne peut-être juste dans la caverne. » Et en effet: de retour dans la caverne, le gin coulait à flot! Drianna ne voulut jamais plus ressortir, de peur que le gin s’épuise, pour de bon cette fois. Rossy, lui, était de nouveau malade, mais il reprit vie. Richard faillit céder à la peur que son chat ne meure.

Mais quelques jours dans la caverne suffirent à Richard: Rossy, le gin, le pot, ça ne suffisait plus, il lui fallait une promenade sur la plage, nager dans la mer, se faire bronzer au soleil, marcher au loin, trouver des traces de civilisation.

Alors Richard repartit. Il marcha plus loin, plus longtemps, se déshabilla, ne put s’empêcher d’imaginer ô combien Jacques aurait aimé ça le voir nu, et sauta à la mer. Il nagea, batifola dans les vagues, cria de joie, puis revint sur la plage où il se laissa choir, jusqu’à s’endormir sous le soleil, bercé par la brise, le bruit des vagues et la chaleur réconfortante du sable doux.

Lorsque Richard retourna dans la caverne pour parler de ses merveilleuses aventures à l’extérieur, il fut vite replongé dans le désespoir quand Jacques lui montra Rossy. Mort, le chat était mort. On aurait dit que sans la compagnie de Richard, Rossy ne pouvait pas survivre. Jacques était bien attristé de ça et noya son chagrin dans l’alcool et le pot. Drianna fit de même et finit par tomber malade, pour avoir trop bu et fumé de pot.

Un bon jour, on n’eut pas le choix: il fallut l’emmener à l’hôpital. Richard avait exploré les environs de la caverne et avait réussi à trouver des traces de civilisation. Il y avait non loin de là un hôpital de fortune où ils soignaient des gens comme ils pouvaient. Non désireux de révéler la localisation de leur cachette, Jacques et Richard s’entendirent pour porter Drianna jusqu’à l’hôpital.

En chemin, Jacques voulut se prendre quelques pufs. Il constata alors que son joint était enfin épuisé. Il ne restait plus que le filtre, à présent, et le feu ne prenait plus dedans. Jacques faillit le jeter, mais Richard lui conseilla de le garder. « J’me demande si ça va pas faire comme avec Rossy pis la bouteille de gin. Si on le ramène dans la caverne, peut-être il va se rallumer. Mais faut pas tarder. »

Richard et Jacques réussirent à porter Drianna de peine et de misère. Rendu là-bas, on leur reprocha de ne pas être venu avant, promit de faire ce qu’on pourrait et puis Richard et Jacques repartirent. Rendu dans la caverne, Jacques tenta de rallumer son joint et hop, il put prendre quelques pufs. Il en offrit à Richard qui accepta de bon cœur. Les deux amis passèrent une belle soirée, sauf que le gin ne goûtait plus pareil sans Drianna.

  • On dirait presque de l’alcool à friction, fit remarquer Jacques, avant d’éclater de rire.
  • Non moi ça me fait penser à de la pisse, ajouta Richard, avant de rire lui aussi.

Jacques n’osa plus sortir de la caverne, de peur que son joint magique ne s’épuise à jamais. Seul Richard, libéré de son attache féline, pouvait sortir allègrement. Il le fit pour aller nager et pour rendre visite à Drianna, qui prenait du mieux mais qui aurait besoin de plusieurs semaines de convalescence sous observation. L’alcool apparemment frelaté de la bouteille de gin avait fait beaucoup de dommages à son foie.

En plus, depuis le départ de Drianna, on aurait dit que le joint avait pris un goût parfois de cendre, parfois d’essence, parfois ne goûtait plus rien. Il gelait autant qu’avant, par contre.

Inquiets au sujet du sort de Drianna, attristés par la mort de Rossy, troublés par la possibilité que l’invasion de zombis ne prenne jamais fin complètement, Jacques et Richard n’avaient plus que l’un pour l’autre. Ils se soulageaient comme ils pouvaient avec le gin plus bon et des pufs de pot, et parfois ils en venaient à se coller, se coucher l’un contre l’autre, et finirent même par s’endormir dans une position disons assez explicite. Jacques militait en faveur de continuer ainsi, même d’aller plus loin, mais Richard avait besoin d’autres choses, de quelques chose que seul le monde extérieur pouvait offrir.

  • Si tu y retournes, le mit en garde Jacques, qui sait ce qu’on va perdre. Tu penses pas que chaque objet enchanté a besoin de nous trois pour rester à pleine puissance?
  • Non, argumenta Richard. J’ai perdu mon attache, Rossy. Si je pars, ça affecte pas ton joint infini. La bouteille de gin sans fin ne dépend que de la présence de Drianna. Mais j’avoue que ça me surprend qu’il en reste encore, même si elle est pas là. Probablement que le plus important c’est que l’objet reste dans la caverne.
  • Mais Rossy, si tu quittais la caverne sans lui, tombait malade. On n’a jamais essayé de partir, moi ou Drianna, quand Rossy était en vie. Ça aurait peut-être affecté sa santé.
  • Mais je peux pas rester là à l’infini. Je sens qu’il y a de quoi de mieux dehors pour moi. Pour nous en fait.
  • Les zombis vont jamais s’en aller, argumenta Jacques. On n’a pas à s’en faire ici, ils viendront pas. Je sais pas pourquoi, mais je m’en fous. Reste avec moi, on va être heureux ici.
  • Mais j’ai besoin de plus, je tourne en rond ici, j’ai besoin de sang neuf.
  • Bon ben vas-y, mais essaie de revenir de temps en temps.

Jacques avait l’air déçu, mais il dut se résigner à laisser son ami partir pour de nouveaux horizons. Richard quitta alors la caverne pour plusieurs jours, marchant sur la plage et explorant. Il trouva plusieurs groupes d’humains qui résistaient tant bien que mal à l’invasion de zombis. Tous parlaient de zombis, mais on n’en voyait plus. Plusieurs s’étaient terrés dans des maisons, des grottes un peu comme notre caverne, des entrepôts, etc., craignant de sortir par peur des zombis.

La nourriture se faisait rare. C’est là que Richard se rendit compte avec étonnement que pendant tout le temps passé dans la caverne, il s’était nourri uniquement de gin, de pot et de ronrons, sans ressentir la faim, sans être malade. Mais comment avait-il pu survivre ainsi?

Il finit par rencontrer des gens qui l’acceptèrent dans leur groupe. Ils partagèrent la nourriture qu’ils avaient trouvée de peine et de misère, Richard aida à trouver d’autre nourriture et médicaments. Il parvint à construire un système permettant de couler des pointes de lance en métal plutôt que les sculpter à la pioche dans de la roche. Les pointes de lance étaient de loin la meilleure arme connue contre les maudits zombis. Il y avait plein de vieux fer un peu partout, car bon nombre de gens avaient abandonné leur voiture, probablement avant de devenir zombis. Il a suffi de faire un grand feu dans un cercle de pierre et attiser les flammes avec un soufflet de fortune. Le métal fondait dans une cuve en fonte trouvée dans un vieil entrepôt, ensuite on le coulait dans des moules sculptés en pierre. Il se perdait un peu de métal à chaque fois et parfois ça tombait sur le pied d’un de ces apprentis forgerons, mais on réussissait comme ça à obtenir plus de pointes de lance que jamais.

Richard travailla fort pour ces gens, qui ne semblaient lui témoigner que peu de reconnaissance. Jour après jour, il craignait ne pas en faire assez, ne pas être à la hauteur, et finir par être chassé, jeté dehors, abandonné aux zombis qui pourtant ne vinrent jamais.

Richard ne savait trop que faire pour être plus heureux, à part tenter d’amener Jacques avec lui. Alors il décida de retourner le chercher dans la caverne. Il repoussa longtemps ce moment, craignant qu’en retournant là-bas, il soit tenté de replonger, rester et consommer de l’alcool et du pot jusqu’à ce qu’amorphisme total, voire mort, s’ensuivent. Mais il fallait qu’il plonge au fond du gouffre pour pouvoir essayer, au moins tenter, de remonter ses deux amis.

Quand il est retourné dans la caverne, il y a trop Jacques et Drianna, de retour de l’hôpital, presque correcte. Mais tous deux étaient tristes. Après le départ de Richard, le joint de Jacques, bien que toujours infini, ne goûtait plus rien et ne gelait plus autant. En plus, quelques jours après que Richard soit parti, la bouteille de gin sans fin a volé en éclats! Drianna et Jacques trouvèrent certes de l’alcool dehors, mais les bouteilles ramenées de peine et de misère se vidèrent comme avant. La magie de la bouteille infinie s’était perdue, comme la vie de Rossy. Seul restait le joint infini, qui était une pâle copie de lui-même. Le retour de Richard dans la caverne n’y changea rien. Les dommages étaient permanents, comme quand on tire trop sur des cheveux, qui s’arrachent et ne peuvent plus se recoller. On ne pouvait pas ramener la bouteille de gin et restaurer le goût et l’effet du joint, encore moins faire revivre le pauvre Rossy.

Richard sentait qu’il n’avait plus sa place dans la caverne, bien que Jacques et Drianna continuaient à l’inviter à rester. Il aurait voulu les emmener dehors, leur montrer le monde extérieur qui devait selon la logique être merveilleux, mais plus il l’explorait, moins il en était convaincu lui-même. Alors comment espérer les persuader de se libérer de leurs chaînes pour de bon?

C’est ainsi que Richard, déchiré, ne parvint jamais à totalement sortir de la caverne. Il regrettait de ne pas être resté, mais il ne pouvait pas accepter que le monde extérieur n’avait pas mieux que ça à offrir. Il pensait que sauver ses amis lui donnerait une raison d’être, mais avaient-ils tant que ça besoin d’être sauvés? Est-il si nécessaire que ça d’errer dans un monde vaste et infini? Ne vaut-il pas mieux se contenter d’une petite caverne bien connue et douillette? Richard ne savait pas, ne savait plus. Tout ce qu’il pouvait faire, rendu à ce point-là, c’est se reposer la question, toujours sans trouver de réponse, puis en pleurer et s’en mordre les doigts.

Jacques et Drianna lui semblaient ses meilleurs amis, mais ils ne lui apportaient rien, seulement l’inciter à consommer et s’enfoncer dans un gouffre, se cacher la tête dans le sable et oublier le monde extérieur dans toute sa richesse. D’un autre côté, dans le monde extérieur, il n’y avait pour Richard qu’indifférence et hostilité. Les gens qui étaient là pour lui ne l’étaient plus, devenus zombis ou disparus. Ceux qui étaient encore là ne l’étaient pas, ayant seulement besoin de son travail, pas de lui. À mi-chemin entre la caverne et le monde extérieur, Richard était toujours prisonnier. Une prison sans barreaux, sans serrure, sans gardien, une prison connue de lui seul, une cage qui n’en était pas une, un enclos dont il pouvait sortir à sa guise s’il daignait en franchir les limites, mais dans lequel il serait toujours tenté de revenir parce qu’à l’extérieur, au fond, c’était pareil qu’à l’intérieur.

« Si seulement je les avais écoutés, se dit-il de plus en plus souvent, Rossy serait encore en vie, et ce serait mieux. » Et Richard pleura encore. Il ne lui restait plus que ça, les larmes.

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