Richard n’en finirait décidément pas de se prendre la tête avec ce problème. Pourquoi est-ce que cette maudite application ne fonctionnait-elle pas sur certaines machines et surtout, pourquoi l’improbable correctif trouvé par son ami était-il efficace? Richard en a vu des problèmes techniques choquants dans sa vie, mais celui-là, il en dépassait plusieurs, possiblement tous.
Cédric, l’ami de Richard, s’était acheté un clavier MIDI pour faire de la musique, le même que Richard. Ce clavier ne fonctionne pas seul; il nécessite un logiciel pour transformer les signaux MIDI en sons. Le clavier fonctionne peut-être, quoique partiellement, avec d’autres logiciels, mais c’est celui du fabricant qui permet de mieux en tirer parti. Alors Cédric et Richard étaient bien d’accord là-dessus: on installe le logiciel du fabricant.
Eh bien, sur la machine de Cédric, le logiciel, qui a fonctionné sur quatre machines différentes chez Richard, dysfonctionnait de façon inexplicable. Au début, le logiciel semblait fonctionner, mais après quelques secondes, au gros max trente, une mise à jour était détectée et installée automatiquement. Après ça, le logiciel se contentait d’afficher une fenêtre semi-transparente avec des éléments d’interface à peine visibles, et puis ne répondait plus à aucune action. Cédric a tenté mille et une fois de redémarrer l’ordinateur, réinstaller le logiciel, chercher sur Internet en vain, puis a contacté son ami. Richard était surpris et choqué que ce logiciel, qui a fonctionné relativement bien pour lui quoi que donné quelques inquiétants ratés de temps en temps, se plante de façon aussi inexplicable. Chaque suggestion faite par Richard était inefficace ou avait déjà été tentée par Cédric.
Alors s’ensuivit une longue séance de recherches. Il fallut aussi que Richard essaie de formater une ancienne de ses machines, lui réinstallant Windows 10 à neuf et balançant ensuite le logiciel récalcitrant. Eh bien le logiciel se mit à dysfonctionner aussi sur sa machine. Il fonctionnait encore sur ses machines actuelles, mais la vieille, plus rien. Richard passa deux soirées à chercher, chercher, chercher, faire des tests, chercher et chercher, et il y passa toute une nuit! Il finit éreinté, mal de dos, mal aux poignets, mal dans le cou, et cela ne passa pas après plusieurs jours. Ainsi, à cause de tout ça, Richard dut prendre rendez-vous chez un physiothérapeute. Ben oui, c’était rendu à ce point-là!
Cédric, pour sa part, était persuadé d’avoir trouvé la solution: il allait s’acheter un nouveau laptop, avec écran tactile. Il se disait que Richard n’avait que des machines avec écrans tactiles. Son laptop en possédait un et son ordinateur de table, aussi. Sa mémoire trop courte et sa méconnaissance informatique lui firent oublier que Richard ne possédait plus cet écran tactile, qui l’avait lâché voilà un an. Alors il se dit, et dit à son ami, qu’il ne fallait pas s’en faire, qu’il allait acheter un écran tactile et que ça allait être réglé.
Richard était persuadé de la fausseté de cette solution, que ça n’allait rien changer. Il ne voulait pas que son ami dépense de l’argent pour rien alors il a multiplié les recherches (et les séances de physiothérapie, auxquelles s’ajoutèrent des consultations psychologiques parce que Richard était en train de devenir FOU à cause de ça!). Il craignait aussi se retrouver avec le problème s’il devait réinstaller Windows sur ses machines. Il a formaté son vieux laptop au moins trois fois, essayant d’installer les logiciels dans des ordres différents, avec toujours pour même résultat le plantage du logiciel.
Richard retenait deux hypothèses. Soit la dernière version du logiciel ne pouvait fonctionner qu’en présence de fichiers de configuration provenant de l’ancienne version, soit il y avait un bogue avec la nouvelle version se produisant uniquement sur certaines puces graphiques. Richard ne pouvait pas ajouter une carte graphique à son vieux laptop, ce qui lui aurait permis de vérifier l’hypothèse de la puce graphique. Pour vérifier l’hypothèse de la préconfiguration, il lui aurait fallu une autre machine avec carte graphique pour y balancer le logiciel et tester. Il ne disposait pas de telle machine, à moins d’en formater une qu’il avait déjà et risquer de perdre le logiciel.
Eh bien le Destin se chargea de ça: un bon matin, Richard découvrit que sa machine neuve, achetée l’année dernière, ne fonctionnait plus du tout. Le SSD contenant son système d’exploitation avait lâché, comme ça pour rien. Cela le fit fulminer, mais avec les techniques apprises avec le psychologue, il parvint à se contrôler un peu. Voilà quelques semaines, il en aurait crié à se donner mal à la gorge et les voisins auraient fini par lui envoyer la police comme c’est arrivé plusieurs fois ces cinq dernières années. Là au moins, il parvint à garder son calme et à entreprendre les démarches pour faire échanger la pièce qui était encore garantie, du moins ce qu’il croyait.
Lorsque Richard obtint son nouveau SSD, il l’installa dans la machine puis entreprit de réinstaller Windows 10, puis le logiciel de synthèse audio. Ce fut pour constater que le logiciel était défectueux pour lui aussi! Il ne pourrait plus utiliser son clavier MIDI. Il se résolut à tenter avec un autre logiciel, qui fonctionnait partiellement, presque bien, mais pas comme l’autre. Ainsi, ce n’était pas la puce graphique mais la préconfiguration. Il fallait que la vieille version ait configuré le logiciel, se soit connectés à son compte et puis après seulement, la mise à jour pouvait s’installer. Il n’y avait rien à faire, à part attendre un correctif du fabricant qui ne venait pas même après plusieurs semaines. Richard a tout essayé pour retarder l’installation de la nouvelle version, à part craquer le code. Richard a même tenté de se brancher sur son compte, avec la vieille version, à toute vitesse, a fini même par réussir, mais même là, la machine à jour embarquait trop vite et le logiciel ne parvenait pas à se configurer avant de se faire fermer et remplacer par l’autre version, défectueuse. Désactiver la connexion Internet pour bloquer la mise à jour ne fonctionnait pas, car le logiciel avait besoin de télécharger des fichiers pour terminer sa configuration. Cela montre à quel point le cloud peut devenir un vraie plaie! La communication entre le client et le serveur étant cryptée, il serait très difficile d’installer un proxy entre les deux, interceptant la requête de mise à jour et retournant « pas de mise à jour » plutôt que demander au serveur. Cela anéantissait le dernier espoir de Richard de régler ça sans devoir attendre indéfiniment après le fabricant.
Et puis deux semaines plus tard, Richard apprit que le fabricant du logiciel avait fait faillite! De plus en plus de gens rapportaient le problème sur les forums, plusieurs proposaient des contournements aussi divers qu’inefficaces, mais la meilleure solution, très simple, demeurait de se contenter du synthétiseur logiciel pour iPhone fourni par le fabricant. Richard était fou furax; il ne possédait pas de iPhone et n’en voulait pas. Le site du fabricant demeurait actif, mais plus personne n’avait le droit d’en modifier son contenu. Les créanciers ont tout saisi et ne pouvaient ni corriger les problèmes, ni désactiver le site complètement. On pouvait encore, selon le site, commander un nouveau clavier MIDI de la marque en faillite!
Cédric, pour sa part, avait rangé son clavier MIDI dans un garde-robe, en attendant… un écran tactile! Il avait magasiné un peu pour un laptop, trouvait ça trop cher et puis s’est dit que peut-être il suffirait qu’il branche un écran tactile à son ordinateur existant pour que le logiciel se mette à fonctionner par magie. Richard était parfaitement en désaccord avec cette hypothèse et chaque fois que Cédric en parlait, il lui rappelait que ça ne ferait aucune différence. Mais Cédric décida de l’essayer quand même, le tout pour le tout, après ça il tenterait de revendre le clavier. Le logiciel alternatif trouvé par Richard ne fonctionnait pas sur sa machine. Richard est même allé chez son ami pour faire des tests et n’a jamais pu comprendre ce qui clochait. C’était en fait bien simple: le clavier MIDI venait avec une mémoire flash vide: il fallait le logiciel du fabricant pour l’initialiser, après quoi il serait utilisable comme une interface MIDI vers USB et interfaçable avec tout synthétiseur logiciel capable de recevoir du MIDI.
Cédric, pour sa part, était certain que réinstaller Windows allait aider, ils ont fini par l’essayer et ce qui se passa était en accord avec les connaissances de Richard: rien du tout, aucune amélioration. Ce fut un pénible après-midi perdu à attendre après des mises à jour qui ont été quatre fois plus longues à installer que d’habitude et des pilotes qui furent difficiles à obtenir parce que le site du fabricant de la carte mère, à présent lui aussi en difficulté financière en raison de pénuries de pièces causées par la pandémie, était super super hyper lent!
Tout changea lorsque Cédric reçut et brancha son écran tactile. Le logiciel récalcitrant, comme par magie, reprit vie. Richard en fut tellement choqué qu’il dut prendre un rendez-vous d’urgence avec son psychologue, après avoir passé une nuit à y penser et à fulminer! Cela dépassait son entendement. Mais le logiciel, chez son ami, fonctionnait #1 et il put enfin utiliser son clavier MIDI.
On pourrait croire que cette histoire n’alla pas plus loin. Oh que non! Un autre ami de Cédric avait acheté usagé un clavier MIDI de la marque défunte et éprouvait des difficultés avec le logiciel. Il avait un vieux laptop sans écran tactile mais capable d’exécuter Windows 10, nécessaire pour le fameux logiciel. Cédric l’a invité chez lui, à brancher le laptop sur son écran tactile. L’ami en question a protesté, hésité, mais a fini par capituler. Devinez quoi? Le logiciel s’est mis à fonctionner!!! HEIN???? Plus étrange encore, le logiciel continuait de fonctionner après le débranchement de l’écran tactile. Il fallait que Windows ait vu au moins une fois un écran tactile pour que le logiciel soit content! C’était à n’y rien comprendre, à croire que les développeurs avaient mis là intentionnellement une mine pour piéger les utilisateurs et les brider!
Résigné, Richard a fini par demander à son ami de l’aider. Il a amené sa tour chez lui, ils ont branché ça sur l’écran tactile et hop, le logiciel fonctionnait #1! Il y a pire: l’ancien laptop de Richard, sur lequel le logiciel ne fonctionnait plus, avait un écran tactile!!! Richard a tenté de brancher le laptop sur l’écran tactile de son ami et ça a fonctionné! Ainsi, ça fonctionnait avec certains écrans tactiles mais pas tous! Cédric a été chanceux d’en trouver un pour lequel le contournement fonctionne. Plusieurs sur les forums ont essayé cette solution et parfois, ça fonctionnait, parfois pas. Une autre personne en France a même essayé avec l’exact modèle de Cédric, et ça n’a jamais fonctionné!!! AAAAHHHHH!!!!!
Cette histoire montre à quel point le monde moderne a perdu son sens. On en est rendu au point où essayer n’importe quoi vaut mieux, dans certains cas, qu’un raisonnement logique et rigoureux. C’est un signe que nous avons perdu le contrôle sur la technologie que nous développons. Plutôt que continuer à faire des ajouts esthétiques et mettre en place des fonctionnalités qui laissent croire à l’utilisateur que le système est intelligent sans l’être vraiment, il faudrait revenir à la base et simplifier, solidifier et sécuriser. Il faire en sorte que plus d’un codeur comprenne ce que le système fait, peut-être même dans certains cas impliquer des ingénieurs. Un mouvement massif vers l’open source est peut-être la solution, élargissant considérablement le nombre de personnes pouvant consulter et réviser le code, ou peut-être pas. Dans tous les cas, la redondance ne doit pas qu’être technologique mais aussi humaine. Un seul expert qui connaît les méandres de tout le système, laissant les autres derrière à se gratter la tête, volontairement ou pas, il faut que ça cesse. Sinon, on va atteindre une limite en terme de complexité et tout va se fragiliser de plus en plus, tandis que les profanes croiront que c’est robuste et fiable. Un bon jour, tout ça va nous lâcher, nous laissant dans une situation pire que celle d’avant la technologie!