Fatigue et lassitude qui ne lâchent jamais

Couché sur mon lit, dans mon ancienne chambre chez mes parents, je n’avais pas le cœur à faire quoi que ce soit. Mon nouveau laptop avait recommencé à mal fonctionner, tous les problèmes du passé avec Windows revenus en force comme des squelettes sortis d’un placard. Toute recherche sur Internet ne donnait aucun autre résultat que des questions sans réponse sur StackOverflow ou d’inutiles vidéos sur YouTube. C’est de plus en plus comme si les gens capables de nous aider avaient tous cessé d’utiliser leur ordinateur, peut-être depuis la pandémie. Si on continue dans cette voie, d’autres abandonneront et d’autres encore, jusqu’à ce que plus personne ne puisse répondre à quoi que ce soit. On se contentera de radoter « J’ai le même problème » et les administrateurs de forums archiveront les fils de discussion les uns après les autres, interdisant toute réponse future, sans aucune forme de progrès. J’avais eu quelques difficultés les premiers jours, avec mon nouveau laptop, ça s’était placé un peu, mais là ça recommençait, un peu comme un cancer qui récidive en force.

Mais ce n’est pas seulement le laptop. Mon retour au travail, la semaine passée, ne s’est pas super bien passé. J’avais choisi de recommencer jeudi, de sorte que j’avais une dernière journée de vacances après celle pendant laquelle nous sommes revenus du chalet. J’espérais comme ça que ce serait moins déprimant recommencer le boulot, mais non, ce fut pire. Déjà jeudi matin, je me suis levé et je me sentais super super super fatigué, quasiment comme si je n’avais pas pris de vacances. J’essayais de lire mes courriels et les yeux me fermaient tout le temps.

À mon retour de vacances, j’étais supposé débuter sur un nouveau projet appelé Mix Testing Tool. Cet outil permet d’exécuter des tests sur une application Mix représentant un assistant personnel capable d’interpréter certaines demandes des utilisateurs. J’avais travaillé là-dessus voilà un an ou deux, alors ceux en charge du projet jugèrent que j’étais la meilleure personne pour le pousser plus loin, jusqu’à le rendre disponible open source. Avant de travailler là-dessus, par contre, je devais revisiter le code, me rafraîchir la mémoire sur ce que l’outil fait et comment il le fait. Relire ce code me plongea dans une fatigue de tous les diables. En après-midi, je n’arrêtais pas de bailler et je n’arrivais presque plus à rien faire.

Puis commencèrent les questions. Plusieurs personnes avaient de la difficulté avec des bouts du projet précédent sur quoi je travaillais avant mes vacances et pensaient que j’étais le mieux placé pour les aider. Mais plutôt que me poser des questions claires et précises, ils voulaient faire des meetings avec partage d’écran, tentant de m’expliquer de façon plus ou moins efficace ce qui clochait. Je n’avais tout simplement aucune idée de pourquoi ce système-là a fonctionné avant et là, subitement, tout était cassé et il était primordial pour la survie même du produit de tout arranger dans la semaine, voire la journée. Chaque fois que je proposais de quoi, soit ils l’avaient déjà essayé, soit ils ne comprenaient pas ce que je disais, possible que l’audio soit trop mauvais ou bien c’était le micro de mon laptop de travail qui faisait des siennes. Je pouvais répéter autant que je voulais, personne ne comprenait plus. Il fallait soit que j’écrive des indices dans le chat, soit qu’une autre personne sur l’appel répète à ma place. C’est déjà arrivé par le passé, mais là c’était pire que pire.

Le stress créé par tout ça refit augmenter ma douleur dans tout mon pied droit qui cette fois irradia dans toute ma jambe. Cela était si agaçant que j’eus du mal à dormir de jeudi à vendredi.

En plus de ça, j’ai vécu une grosse déception jeudi soir. Mon frère et sa femme m’avaient invité à souper chez eux et il y aurait peut-être un jam après le souper. Eh bien, il s’est mis à tellement mouiller en fin d’après-midi que mes parents avaient peur de sortir, même pour me conduire à l’arrêt d’autobus. Ça pouvait arriver que l’autobus ne passe même pas ou qu’on soit en panne à mi-chemin, l’eau inondant certaines routes. Avoir été à Montréal, j’aurais pu tenter mon coup, mais là, c’était trop risqué.

Ainsi jeudi, je me pensais fatigué? Eh bien vendredi, je constatais n’avoir rien vu. Plusieurs fois en avant-midi, je dus faire une pause et m’étendre quelques minutes; je n’y arrivais juste plus.

Vendredi après-midi, après un nouveau problème de connexion qui me fit piquer une colère de tous les diables, qui me mena à jeter mon clavier à bout de bras, je dus me rendre à l’évidence que trop c’était trop, je ne pouvais plus réussir à travailler. Je fis part de cette triste nouvelle à mon patron qui en fut bien désolé. Pour l’heure, je pris une journée de maladie, mais il allait falloir contacter mon médecin de famille pour la suite des choses.

J’ai passé la fin de semaine essentiellement à me reposer. Je n’ai même pas allumé mon ordinateur, craignant que ça me fasse pogner les nerfs encore. Je suis resté couché, j’ai lu un peu, suis allé m’asseoir dehors, pris un thé dans la balançoire avec maman, joué un peu avec les enfants de ma sœur qui sont venus se faire garder samedi soir et puis enfin lundi est arrivé.

Malgré mes tentatives passées, je n’ai pas pu trouver un autre médecin de famille que celui de mes parents, à Saint-Césaire. C’est donc là que nous sommes allés, mon père et moi, lundi matin. Mon médecin m’a questionné sur ce qui se passait, a évalué comme moi que malgré ma blessure je devrais pouvoir travailler, a commencé à soupçonner une dépression. Elle pouvait me prescrire de quoi pour soulager les symptômes, mais ça ne pourrait pas se faire avant que je commence à consulter un psychologue. Les médicaments, seuls, ne suffiront pas; il faut une psychothérapie. Elle pouvait m’en recommander un, mais ce serait sur la rive sud, avec temps d’attente de deux à trois mois. En attendant, je serais en arrêt de travail à ne rien faire? On dirait bien. Tout ce qu’elle put faire, c’est me mettre en contact avec un travailleur social qui allait évaluer ce qu’on pourrait faire à court terme. Ouin…

Ce même jour, j’avais aussi un rendez-vous de physiothérapie pour mon pied. Ma thérapeute était encouragée, car j’avais réussi à conserver une partie de ma mobilité des jambes grâce aux exercices que je faisais chaque jour méticuleusement. Elle me fit réviser les exercices, me proposa des correctifs pour mettre moins de pression sur mon pied droit (cela pouvait expliquer les épisodes de douleur). Ensuite elle massa mon pied et me rappela que bientôt, on allait pouvoir enlever mon plâtre et commencer à traiter aux ultrasons et avec le courant électrique; ça allait faire du bien. En attendant, ça valait la peine de continuer à mettre du froid régulièrement.

De retour chez moi, quand je suis entré dans ma chambre, je n’ai pu retenir un « Ah non!!!! » des plus exaspérés. « Qu’est-ce qui se passe encore? » me demanda maman depuis la cuisine, pensant que j’avais encore trouvé moyen de m’empêtrer avec un bogue d’ordinateur. « Le chat! » commençai-je. « J’ai oublié la fenêtre grande ouverte, ya tout cassé la moustiquaire. » Maman me demanda si l’animal était encore là, peut-être avait-il juste déchiré la moustiquaire, regardé un peu dehors et retourné se cacher comme il le fait toujours. Mais je ne le trouvai pas, ni sous le lit, ni derrière la commode, ni sous le meuble de l’ordinateur. Maman vint chercher elle aussi, on a passé près de cinq minutes à l’appeler en vain, eh non, parti pour de nouveaux horizons.

« Mais pourquoi t’as ouvert ta fenêtre? » demanda maman, perplexe. C’était évident, à cause du chat, qu’il fallait la laisser fermée tout le temps ou au pire l’ouvrir juste au minimum. « Parce que j’avais super chaud, pis je savais que le matin, il dort et reste sous le lit, alors j’en ai profité pour ouvrir grand mais oublié de fermer avant de partir. » Je me trouvais si stupide que je faillis en pleurer, mais au moins je parviins à me contenir un peu. Tout ce qu’on pouvait faire, c’était espérer qu’il revienne un moment donné.

En après-midi, j’ai tenté d’utiliser le service d’aide aux employés, à mon travail, pour obtenir une consultation avec un psychologue. Peut-être avec ça j’aurais de quoi de mieux qu’attendre deux mois. Je pus obtenir une consultation dans la semaine. En attendant, tout ce que je pouvais faire, c’était me reposer, méditer, boire du thé, écouter la télé et écrire un peu si et quand mon ordinateur me le permettait.

J’en suis venu, en fin d’après-midi lundi, 17 juillet 2023, après une nouvelle colère de tous les diables, à complètement formater ce damné laptop et réinstaller Windows 11 à neuf, en utilisant un médium d’installation USB. Contrairement à ce que je craignais, Windows se réactiva correctement sans me demander un numéro de série que je n’avais pas, et le système semblait mieux fonctionner. Quelques problèmes mineurs étaient disparus, mais la machine continuait à me demander obstinément mon mot de passe au lieu de prendre en compte mon empreinte digitale ou mon visage.

Ensuite fatigué, mal aux yeux et à la tête, n’ayant rien d’autre à faire, je suis sorti avec un jouet pour mon chat, me suis installé dans la balançoire et j’ai agité le jouet. C’était un bâton au bout duquel il y avait une balle attachée par une corde. C’est une de mes nièces qui a trouvé ça et c’est avec ce jouet que mon chat a vraiment interagi avec moi pour la première fois. Alors j’allai dehors avec ça, l’agitai et appelai mon chat, presque sans fin. Mes parents étaient certains que ça ne servirait à rien. Moi aussi en fait. Mais je n’avais pas l’énergie pour autre chose. Je fis cela jusqu’au souper et une partie de la soirée, puis descendis pour me laver et me coucher. En fait, je ne fis pas qu’agiter le jouet bêtement. Je tentai d’appeler mon chat, avec ma voix mais aussi avec mon esprit. Je mis tant de cœur à cette tâche que j’en oubliai tout le reste.

Le lendemain matin, quand je suis monté pour déjeuner, j’ai trouvé un large trou dans la moustiquaire de la cuisine. Non loin du trou se trouvait un petit chat noir qui fit « Miou » comme pour m’agacer, puis il se mit à se frotter sur mes jambes en ronronnant. Mon chat était revenu! Il avait défoncé une autre moustiquaire pour entrer plutôt que passer par où il était sorti, mais bon, il était de retour, et apparemment sain et sauf, à part qu’il faisait le saut si on le flattait derrière les oreilles. Maman pense qu’il lui est arrivé quelques chose, peut-être il s’est battu, mais il n’y a pourtant pas de signe de blessure.

Tous ces soucis posés par mon chat qui s’était sauvé, puis était revenu, m’ont quelque peu fait oublier mon retour cahoteux au travail et même ma blessure; la douleur était presque inexistante depuis que j’ai retrouvé mon chat. Je me demande si et comment je pourrais exploiter ça pour améliorer mon état, pouvoir recommencer à travailler sans cogner des clous à la moindre lecture de code ou de courriel.

Existe-t-il un univers parallèle, proche ou loin du nôtre, où j’ai évité cette vilaine blessure au pied? Si seulement ce 15 juin je n’étais pas sorti pour cette commission à la pharmacie, je me serais sauvé beaucoup de tracas. Mais d’un côté, si mon quartier est devenu trop dangereux pour y marcher sans risquer de me faire faucher par une voiture ou même un vélo, que vais-je faire? Déménager? Ne sortir que pour des déplacements essentiels et me réinscrire dans un gym pour faire plus d’exercices, privé de la marche? Ou me trouver un compagnon de marche qui une semaine ne pourra pas, l’autre semaine pourra juste le soir où j’aurai autre chose de prévu? Pas génial. Est-ce qu’éviter cette blessure aurait pu suffire à m’épargner l’arrêt de travail? Une partie de moi répète que oui, tandis que ma logique clame que non. On ne saura jamais. À moins que….

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