Parfois, on peut se trouver physiquement au même endroit et vivre une expérience totalement différente. C’est cela qui m’est arrivé jeudi passé, 5 octobre 2023. Quelques collègues de travail organisaient une petite soirée et je me suis dit que ce serait plaisant m’y joindre. Nous devions nous rencontrer au parc Jarry pour profiter du beau temps, grignoter un peu et boire de la bière, puis on se dirigerait vers un restaurant indien. Eh bien, ça ne s’est pas passé comme ça du tout pour moi.
D’abord, mon plan A est tombé à l’eau parce qu’en raison de difficultés avec le transport en commun, je n’ai pas pu me rendre au bureau pour le meeting de 9h que j’avais. Ce meeting me semblait important pour faire progresser ce sur quoi je travaillais et bloquais depuis plusieurs semaines. Pour enfin débloquer, il faudrait améliorer beaucoup ma compréhension d’Azure ou le concours de plusieurs autres personnes travaillant dans différentes équipes. Après le meeting, je préférais me concentrer sur mes expérimentations pour confirmer mes hypothèses sur le fonctionnement des réseaux virtuels et DNS que couper ma journée en deux avec un déplacement en métro ou autobus pour me rendre au bureau. Depuis que le bureau a été déplacé du centre-ville vers le Mile Ex, me rendre là-bas est pour le moment une question de chance avec beaucoup d’essai et erreur. Je croyais au moment d’écrire ce récit connaître un trajet fiable, mais il me fallait encore l’expérimenter.
Alors plutôt que me rendre au bureau et continuer à travailler de là, j’ai travaillé de chez moi jusqu’à vers 16h30. Au moins, j’ai effectué de fructueuses expérimentations qui ont confirmé mes hypothèses. Si mon modèle théorique était bon, je disposais d’une solution à notre problème impliquant une seule personne dans une autre équipe pour approuver des requêtes. Le modèle théorique pourrait aussi servir à développer d’autres applications Azure mieux sécurisées, isolant les services internes, ne laissant que l’API publique atteignable depuis Internet.
Un collègue m’avait dit que le parc Jarry était à côté de la station Parc. Je trouvais ça un peu long me taper la ligne verte, orange, puis bleue, puis réalisé ah mais attends si je vais vers Jarry je vais passer par Jean-Talon d’où je pourrais transférer sur la ligne bleue et atteindre Parc. J’étais déçu de ne pas avoir la chance d’expérimenter depuis la station Beaubien, plus proche du bureau, mais bon, j’aurai la chance d’essayer plus tard me suis-je dit.
Et là je me suis dit peut-être ce serait plus avantageux la 67, qui passait dans pas long, me rendant à la station Saint-Michel, direct sur la ligne bleue. Mais la 67, ça a été long, long, long, long, long, quasiment aussi pire que la 80 que j’avais essayé de prendre la dernière fois pour aller au bureau. À chaque arrêt, l’autobus demeurait arrêté au moins 30 secondes sinon plus, ou bien il y avait un feu de circulation qui était super long. J’en vins à la croissante impression qu’on est dans un cercle vicieux. Le transport en commun est trop inefficace si bien que des gens finissent par adopter la voiture, il y a de plus en plus de voitures sur les routes, ce qui contribue à encore diminuer l’efficacité du transport en commun poussant encore plus de gens à adopter la voiture, et ça continue sans fin. Je ne peux conduire en raison de ma déficience visuelle alors même si je voulais, je ne pourrais pas passer du côté obscur moi aussi. Même la solution de rechange du vélo, qui permettrait de s’affranchir partiellement des limitations du transport en commun sans acheter de voiture, m’est inaccessible.
Rendu à la station Parc, je suis descendu et je pensais que le parc Jarry était juste à côté. Le groupe, qui échangeait sur Whatsapp, était rassemblé proche d’une fontaine, mais il n’y avait pas de fontaine là où je me trouvais. J’ai cherché partout, en vain. Il y avait de petites marches n’importe quand et j’ai fini par me faire foncer dedans. Tanné, j’ai regardé sur Google Maps voir si j’étais bien au parc Jarry, pas d’indication précise. Mais si je demandais à me rendre au parc Jarry, on me conseillait d’encore prendre un autobus ou marcher 20 minutes! MAIS VOYONS! Ce n’est pas à côté pantoute!!! J’étais vraiment découragé. IL était proche 18h et plus le temps filait, plus il y avait la possibilité que je rate la cible. Rendu au parc, je me ferais écrire sur le fil Whatsapp du groupe qu’ils avaient quitté pour le restaurant indien et faudrait reprendre les recherches, espérer trouver le restaurant avant qu’ils aient commencé à manger, au moins avant qu’ils aient fini. Il aurait été temps, à ce moment-là, de revenir à ma première idée, qui était de dire fuck off le pique-nique, rester dans mon quartier et profiter de la terrasse de l’Espace Public une dernière fois avant que ça ferme pour l’hiver. Mais non, je me suis entêté.
J’ai failli abandonner, mais je ne voulais pas me retaper tout ce voyage pour juste rien, alors j’ai fini par tenter d’atteindre le parc. La marche n’a pas été le fun du tout. À tout moment, il y avait des entrées de cour d’où sortaient une voiture ou une moto. Si je me rappelle bien, il y a eu encore du monde sur le trottoir ne bougeant pas et j’ai eu du mal à les contourner. Le trajet pour me rendre là semblait sans fin. C’est en utilisant Google Maps que je suis parvenu à me diriger. J’ai essentiellement marché sur la rue Jean-Talon et emprunté une rue perpendiculaire dès que j’ai pu pour me rapprocher du parc, vérifiant régulièrement sur la carte si je m’approchais du but plutôt que m’en éloigner.
J’ai fini par atteindre le parc et même trouvé la fontaine, au centre d’un large bassin d’eau non clôturé dans lequel j’ai failli me retrouver les pieds. J’ai tenté de tourner autour du bassin, espérant que mes compagnons me verraient, en vain. J’ai fini par trouver un passage derrière le bassin menant plus loin, mais il fallait marcher sur des roches au risque de tomber dans l’eau si je glissais. J’ai pris mon temps, utilisant ma canne pour évaluer la distance entre les roches, avant de poser mon pied dessus. Je devais m’assurer que mon pied était fermement sur la nouvelle roche avant de transférer mon poids du pied sur l’ancienne roche vers la nouvelle. Je l’ai fait, espérant que j’allais trouver un autre chemin pour aller plus loin, mais j’étais coincé dans un cul-de-sac, une espèce de petite île, et je n’arrêtais pas de m’enfarger dans des roches. Quelqu’un m’a offert de m’aider, mais tout ce qu’il a pu faire, c’est me confirmer que j’étais bien dans un cul-de-sac et fallait repasser par les roches pour ressortir.
Les gens du groupe sur Whatsapp ne me répondaient pas. J’étais à bout, exaspéré. Un moment donné, on m’a envoyé une photo, capture d’écran de Google Maps, avec deux points dessus. Je n’arrivais pas à figurer où ils étaient avec ça. J’ai essayé de marcher près de la fontaine, formant des cercles de plus en plus grands, en vain. Il a fini par faire noir et ils ont au moins écrit qu’ils étaient pour partir bientôt. Le pire que je pensais était arrivé: fallait reprendre la route et tenter d’atteindre le restaurant indien. J’aurais été aussi bien viser le restaurant dès le début et attendre proche ou marcher aux alentours. Mais pire encore a été que personne, personne, personne ne m’envoyait l’adresse du foutu restaurant! Je l’ai demandée, jamais de réponse.
J’étais exaspéré, j’avais faim, j’avais envie de pipi, je n’étais même pas certain de comment j’allais réussir à me rendre soit au restaurant, soit au métro Jarry ou Parc pour revenir chez moi. À force de marcher, j’ai aperçu une cabine de forme familière: une toilette chimique. J’ai pu me soulager la vessie là-dedans, au moins. Contrairement à un ami plutôt excentrique dont je me suis éloigné pour mon propre bien, je n’ose pas pisser dans le gazon ou proche d’un arbre, ne pouvant m’assurer que je ne serai pas vu. « Chanceux » comme je suis, je ne serais pas surpris d’être pris en flagrant délit à la première tentative et de me faire coller une contravention tandis que lui l’a fait d’innombrables fois sans être inquiété! Tu parles d’une justice!
J’ai fini par ENFIN avoir l’adresse du restaurant. C’était le Appayon, sur la rue Ogilvy. Un autre gars du groupe a essayé de m’envoyer ailleurs, dans un bar sur Jean-Talon où il y avait une autre gang de collègues, mais quand j’ai commencé à regarder pour me rendre, j’ai appris qu’ils allaient bientôt payer et partir. J’étais en route pour le métro Jarry quand j’ai eu la position du restaurant indien. J’ai essayé de me rendre, mais c’était encore à plus de 20 minutes de marche. Après quelques essais et erreurs, j’ai perdu espoir et abandonné. Parti comme c’était là, j’arriverais et ils auraient fini de manger, voire le restaurant serait fermé!
Mais juste revenir au métro Jarry a été un cauchemar. J’ai fini par découvrir que j’étais proche de Saint-Laurent/Jarry où il y avait un arrêt pour la 55, qui m’aurait ramené à la station Saint-Laurent, directement sur la ligne verte, sans avoir à passer par la ligne orange et faire un transfert à Berri-UQÀM. Mais la 55, je l’avais dans la face et il fallait traverser Jarry pour l’atteindre. La lumière était rouge et elle resta rouge jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Non pas tout à fait en fait, l’autobus n’était pas parti alors j’ai couru pour rien. Quand je suis arrivé de l’autre bord, l’autobus partait. J’étais en furie!
On aurait bel et bien dit que rien, absolument rien, n’allait fonctionner pour me tirer de ce mauvais pas, qu’il allait me falloir appeler quelqu’un pour qu’on vienne me chercher. Je me suis demandé si un de mes voisins pourrait venir me chercher en voiture, mais ça ne me plaisait pas du tout devoir lui imposer cette route-là et devoir l’attendre minimum vingt minutes, plus probablement 30, voire 45 minutes. Alors il m’a fallu tenter de marcher jusqu’au métro. Par chance, c’était en ligne droite sur Jarry. Après avoir déterminé la bonne direction, ça a pu se faire, et j’ai même pu trouver la porte sans chercher sans fin jusqu’à ce que quelqu’un m’aide.
Rendu dans le métro, j’ai mangé quelques chips, prenant soin de refermer le sac neuf que j’avais amené pour le pique-nique, voulant éviter de me retrouver avec plein de miettes dans mon sac à dos. Je suis monté dans le métro soulagé. Bon, enfin fini tout ça? Oh non! Crémazy. Ouin ok. Sauvé. Ah non fuck, je pense que je m’en vais du mauvais bord. J’avais checké pourtant! Montmorency, ah non l’autre bord, mais apparemment deux escaliers menaient à Montmorency, fallait probablement franchir une passerelle entre les deux accès au quai pour atteindre deux autres escaliers, menant de l’autre côté. Alors j’ai dû descendre et marcher sur la passerelle. Après, j’ai enfin pu me rendre chez moi et souper.
Il m’aurait fallu mieux vérifier qui participait à l’événement. Il y avait peu ou pas de gens que je connaissais qui venaient, en fin de compte. Le plus simple aurait été bien entendu de partir tous du bureau. Je ne pensais pas que le parc Jarry était grand à ce point-là. Il m’aurait fallu mieux vérifier l’information de mon collègue qui affirmait que le parc Jarry était à côté de la station Parc. Ça aurait été mieux de connaître l’adresse du restaurant avant de partir, comme ça après avoir erré sans fin dans le parc, j’aurais pu m’asseoir quelque part tranquille au pire, prendre une bière que j’avais amenée, puis me rendre au restaurant où mes compagnons m’auraient rejoint.
Ainsi, il y aurait eu moyen que ça se passe mieux, mais ça aurait pu être bien pire. J’aurais pu finir les souliers trempés, après avoir marché dans l’eau du bassin où il y avait la fontaine ou glissé sur une roche. J’aurais pu me blesser en chemin ou me faire frapper par l’auto ou la moto qui sortaient d’un stationnement.