Pas fier du tout de mon coup, je descendis de la voiture et retournai chez moi. Les prochaines semaines allaient être difficiles, avec le procès et tout, tout ça pour une si stupide bêtise. Il aura fallu d’un geste considéré menaçant pour me valoir cette stupide plainte pour tentative d’intimidation, faite par un zozo dans le métro. C’est à en pleurer de rage. Je ne sais pas si je pourrai garder mon emploi. Mon avocat pense que je serai probablement suspendu le temps des procédures, c’est vraiment poche. Même si je suis repris après, je ne serai probablement plus dans le même groupe, plus avec les mêmes collègues, plus sur le même projet; ce sera comme débuter un nouvel emploi. Et même après mon procès fini, que je sois acquitté ou pas, faudra probablement témoigner dans le procès contre l’autre dude, puisque j’ai porté plainte moi-même pour voie de fait. Ça veut dire plusieurs journées de travail perdues et plusieurs pénibles allers-retours au palais de justice. Grrr! Au moins, la police a obligé le gars à se soumettre à un bilan toxicologique; on pense qu’il était sous l’influence de substances. Il y a l’agent de sécurité dans le métro qui a vu une partie de la scène, et peut-être d’autres témoins qui étaient sur le quai au moment de l’altercation. Il y a de bonnes chances que ces gens plaident en ma faveur. Mais ça reste beaucoup de stress pour au final pas grand-chose.
Je m’en allais prendre le métro en vue d’une soirée prometteuse à haut potentiel de réduction du stress. Pour la première fois depuis des semaines, j’avais réussi à me rendre jusqu’au métro en marchant, sans avoir à courir dans la perspective de manquer mon autobus rendu à destination. Je venais de descendre les marches menant au quai quand un gars m’a accroché. Je me suis retourné et lui ai dit désolé, mais faut croire qu’il n’a pas compris et m’a rétorqué d’un ton agressif:
- Veux-tu t’pogner avec moé?
- Aye! ai-je répliqué, choqué d’être ainsi provoqué. J’ai juste dit désolé.
- Ferme donc ta gueule osti d’cave! a répondu l’autre.
Avant que je ne puisse répondre quoi que ce soit, le dude fonça vers moi et me poussa violemment vers les rails. Soudain, une grande frayeur s’est emparée de moi. C’est comme si, un instant, j’avais l’impression que ce gars-là voulait me pousser sur la voie, sur les rails électrifiés, pour me tuer! La frayeur laissa place à la colère et avant que je n’aie pu me rendre compte de ce qui se passait en moi, il était trop tard. J’avais adopté une posture de combat et poussé le gars avec mes mains, utilisant mes pieds pour effectuer un transfert de poids et me donner plus de force. Faut croire que j’y suis allé trop dur avec ça parce que le bonhomme a reculé et s’est cogné la tête sur le mur. Ce dernier commença alors à me donner des coups de poing. Non désireux de recevoir des coups jusqu’à temps que le métro arrive et que je puisse sauter dans le train pour échapper à mon assaillant, je tentai de lui dire d’arrêter ça, que je ne voulais pas me battre, mais lui semblait ne pas comprendre ce que je disais et juste vouloir fesser. Alors je lui ai agrippé le poignet et tenté de lui tordre le bras dans le dos. Le gars m’a sacré un bon coup de pied en retour. Un peu surpris, j’ai lâché ma poigne et lui m’a chargé encore. C’est là que quelque chose a cassé en moi. Brandissant le poing, j’ai crié, à pleins poumons: « FOUS-MOI LA PAIX OSTI D’CAVE!!!! »
C’est là qu’un agent de sécurité est arrivé, nous demandant ce qui se passait. Le dude a expliqué que je l’avais provoqué, j’ai répondu que lui aussi m’avait provoqué et il a fallu que l’agent de sécurité s’interpose entre nous deux parce que le gars voulait encore me sauter dessus! Peu après, la police était sur place, nous emmenant tous les deux.
Je dus raconter cette histoire un nombre incroyable de fois. Les policiers tentèrent d’extirper le plus de détails possible, comme on presse un citron. Cela dura près de trois heures, après quoi j’étais à bout, vidé. Ensuite de ça, je me retrouvai en prison, oui oui. J’allais y croupir toute la fin de semaine, en attendant de comparaître devant le juge. Lundi? Non, c’était l’Action de Grâce! Mardi matin, l’audience, pour qu’on décide si j’allais être libéré en attente de mon procès ou pas.
Un avocat est venu me rencontrer pour discuter de la suite des choses. Il m’a expliqué ce que je savais déjà, que j’allais devoir comparaître et tout. Il m’a fait encore raconter mon histoire et d’après ce que je lui ai dit, pense qu’on va réussir à me faire acquitter, mais ça va prendre des mois, juste attendre que le procès ait lieu. J’étais choqué, découragé, exaspéré. On aurait dit que j’étais dans un épisode de la série Indéfendable.
La fin de semaine fut longue et terrible. Malgré toutes mes tentatives de garder profil bas, je me suis pogné avec deux gars qui ont voulu essayer de me tuer. Ça s’est réglé sans effusion de sang: les agents de sécurité ont vite remarqué l’altercation, nous ont séparé et m’ont foutu sous protection. La fin de semaine a été longue, très longue, mais au moins je n’étais pas en danger. Mais ça a été terrible à cause du stress qui ne m’a quitté. Mardi matin, j’ai comparu devant le juge; ça n’a pas été long qu’il m’a laissé sortir de prison. Rendu là, on m’a appelé un taxi qui m’a ramené chez moi.
Rendu chez moi, j’ai pris rendez-vous avec un psychologue, parce que je ne pourrais pas réussir à tenir le coup jusqu’au procès, à cause du stress. Quelle galère de dingue n’est-ce pas?
Et dire que cette histoire aurait pu être la mienne. Hier soir, en allant chez mon frère, j’ai accroché ce gars dans le métro, me suis excusé et lui m’a demandé si je voulais me pogner avec lui. Je n’ai rien dit, craignant une escalade du genre de celle que j’ai décrite ci-haut. Est-ce que la liberté tient vraiment à un fil à ce point-là? C’est à se demander.