J’ai dû promettre de cesser de crier pour obtenir ce calepin dans lequel je vais pouvoir écrire. J’ai intérêt à ne rien tenter avec le stylo, car ce ne sera pas long qu’on va me l’enlever. Aouch! Je ne pourrai même pas écrire longtemps de toute façon, juste ce paragraphe et ça me fait mal partout aux épaules, dans le cou et dans le dos. Des fois j’ai l’impression que je porte encore les maudites menottes qu’ils m’ont pourtant enlevées depuis deux jours.
C’est un peu mieux avec les anti-inflammatoires qu’ils m’ont prescrits et le repos. Ça fait quasiment une semaine que je suis enfermé ici, mais j’ai fini par réussir à me calmer. Mon psychiatre va probablement me mettre en arrêt de travail pour plusieurs autres semaines; ce sera mieux. C’était rendu très stressant et frustrant depuis la nouvelle réorganisation. Le nouveau patron ne cessait de nous convoquer en meetings sur Teams, plusieurs fois par jour, à l’improviste souvent, et il y a même une fois où mon téléphone a sonné à 20h30: meeting d’urgence parce qu’un nouveau client désirais une saveur de croustilles! Ils voulaient qu’au moins deux personnes se rendent au labo LÀ pour commencer à travailler dessus, j’étais exaspéré, mais deux collègues se sont portés volontaires avant moi. Ça n’a plus de sens travailler comme ça. On dirait que personne n’arrive à rien planifier et que le standard de facto c’est faire de plus en plus d’heures, soirs et fins de semaine, et le jour on fait des meetings et des meetings!
Ça a explosé un vendredi après-midi. N’en pouvant plus, j’en suis venu à crier sans fin. Je suis viré tellement fou furax que je suis sorti sur mon balcon avec un bâton et fessé, en criant au meurtre, sur le garde-fou. La vibration qui en a résulté a, selon les voisins, fait shaker tout le bâtiment, c’était horrible. Il y a eu plus de quinze personnes qui ont appelé la police, les unes après les autres.
Les policiers sont arrivés pas longtemps après, m’ont interpellé, j’ai crié, ils ont répété, j’ai essayé de me calmer, mais tout ce que j’ai pu faire, c’est vociférer « QUOI? » d’une voix tremblante et hystérique avant de lancer le bâton dans leur direction. J’ai tellement manqué mon coup avec ça qu’ils n’ont même pas pensé que je lançais vers eux et ce fut une chance, sinon j’aurais eu des accusations criminelles contre moi en plus de me faire emmener de force.
Les policiers m’ont demandé de me nommer. J’ai tenté de leur donner mon nom, espérant que ça allait aider. « J’suis Sylvain » ai-je réussi à dire, plus calmement, mais c’était comme si on avait mis un couvercle sur un presto sur le point de sauter à nouveau. Sentant la steam encore sous le couvercle, ils voulaient m’emmener. J’ai paniqué, refusé et au lieu de continuer à me raisonner, ils ont juste passé à la grosse artillerie et m’ont mis les menottes!
Depuis des mois, à cause du stress, j’ai souvent mal dans le dos, le cou, les épaules, tout, et là avec les menottes, OUILLE! Ça m’a fait crier de douleur et de rage. Les policiers ne savaient pas pour mes douleurs et pensaient que je lâchais encore des cris de fou alors ils m’ont crié de me la fermer et me calmer, m’ont tiré les bras derrière le dos et ça a fait super super mal!
Quand ils m’ont enlevé les menottes rendu à l’hôpital, je ne m’en suis même pas rendu compte tout de suite tellement ça faisait mal à m’en faire pleurer. « Enlevez-moi ça! » ne cessais-je plus de pleurer. « Pitié! » Mais ça faisait quinze minutes qu’on m’avait enlevé les maudites menottes! Parait qu’ils n’ont jamais vu ça.
Après ça, pensant eux aussi que je ne criais que de rage, pas à cause de la douleur, ils m’ont injecté du lorazépam et tout est devenu flou. Quand j’ai repris conscience, ça me faisait super super mal à m’en refaire crier, ils m’ont piqué encore sans essayer d’en savoir plus.
J’ai dû m’efforcer de me calmer pour leur expliquer la situation, on m’a enfin fait passer des radios, pour constater que je m’étais fait disloquer une épaule et étirer plein de muscles! Le médecin qui a vu ça était sidéré et me suggère de porter plainte contre les policiers pour usage abusif de la force. « Ça a pas d’allure ce qu’ils ont fait là! » Mais il aurait vraiment fallu cesser de gueuler comme un perdu, ça aurait beaucoup aidé.
Je suis enfin sorti de l’hôpital, mais je dois rester au repos et revenir chaque semaine pour un suivi. Je me retrouve avec une prescription d’anxiolityques que je vais devoir prendre à vie probablement. Il me faudra faire de la physio pendant un bout pour mon épaule et mon dos. Quant au travail, je ne pense pas revenir. Je ne sais pas encore si je tenterai d’appliquer ailleurs, étudier dans un autre domaine ou essayer de survivre avec ce que j’ai de placé me disant que de toute façon, je n’en ai plus pour bien longtemps. Soit je vais péter au fret dans quelques années, soit la planète va nous sauter en pleine poire anyway. Mais c’est bien triste tout ça. Je me demande souvent si ça aurait pu être évité.