Quand j’ai entendu parler de ça, je n’ai pas pu y croire. Mon ami avec qui je suis allé passer une soirée au bar proche de chez lui, a reçu un appel sur un téléphone jetable. Subitement, il est devenu tendu. « Faut que j’y aille! La job! Grosse urgence! Désolé, finis ma bière si tu veux, paye pour nous deux, j’vais t’rembourser plus tard. » Ben voyons! Je me suis demandé si j’avais fait quelque chose et il m’a plus tard certifié que non.
Le lendemain, il m’a expliqué. « Je suis sur appel, je ne sais pas c’est qui mes patrons. Ils peuvent m’appeler à toute heure du jour ou de la nuit et si je ne fais pas ce qu’ils disent dans le temps donné, ils menacent de me tuer, moi, pis toute ma famille. Ils m’ont expliqué qu’ils allaient tuer toute ma descendance et toute celle de ma femme. Ils vont tuer mes enfants et mes petits enfants. Je dis à mon ami de prévenir la police, que ça n’avait pas d’allure d’accepter ça, mais lui avait trop peur.
Mais un jour, n’y tenant plus, il s’est décidé. Eh bien il est mort, lui et sa famille. Ils l’ont vraiment fait. On ne sait pas qui sont ces gens. Ils ont commencé par les petits-enfants. Il leur est arrivé des accidents en revenant de l’école, heurtés par des chauffards. Puis ça a été le tour des enfants, et ensuite de la femme de mon ami, puis mon ami y est passé. Les enquêtes n’ont rien révélé. Je me demande si elles n’ont pas été bâclées. Se pourrait-il qu’ils aient eu l’ordre d’en haut, de très haut, de clore les enquêtes prématurément. Je me le demande. Ça fait bien peur tout ça.
Quelques jours plus tard, j’ai reçu un colis: un téléphone jetable, très similaire à celui de mon ami. Dès que je l’ai déballé, fébrile et inquiet, le téléphone a sonné. On m’a expliqué que j’avais été engagé pour travailler sur appel. On m’a dit, avec une voix modifiée, que je devais conserver ce téléphone sur moi en tout temps et m’assurer qu’il demeurait chargé. « Quand ça sonne, tu réponds. Si tu réponds pas, peu importe pourquoi, on te tue, toi pis toute ta famille. T’es une personne seule faque on remonte à ton ancêtre le plus loin, ta grand-mère, et on tue son conjoint, enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. Même s’ils sont à l’étranger, on peut les trouver. On va te tuer en dernier, tu vas voir tous ces gens mourir et les avoir sur la conscience. N’essaie pas de prévenir la police, ça va juste t’empêcher de terminer les jobs qu’on va te demander ou recevoir les appels, et on va procéder à la sentence, tuer toute ta famille. Reste aussi proche de chez toi que possible, parce que si on t’appelle, tu auras un temps limité pour faire ce qu’on va te demander de faire et on a calculé ça considérant que tu pars de chez toi. Tu dois travailler seul. Il y aura des conséquences pour toi et toute personne à qui tu demanderas de l’aide. Par précaution, ne parle de cela à personne. Et, encore, surtout, pas de police, c’est bien important pas de police, parce que si tu impliques la police, seul importera que tu réussisses ta tâche ou pas, à temps. »
On ne m’a pas expliqué ce que j’allais devoir faire, on m’a laissé attendre comme ça un mois. Régulièrement, je regardais ce téléphone, tout d’un coup ça a sonné et je ne l’ai pas entendu. Si je ne réponds pas, ils tuent toute ma famille, moi y compris, ne cessai-je de me répéter. Le téléphone resta près de moi, toujours chargé, prêt. J’étais nerveux quand je prenais ma douche: tout d’un coup ça sonne. J’étais nerveux quand je me brossais les dents: tout d’un coup ça sonne. J’avais du mal à dormir: tout d’un coup ça sonne et jet ne l’entends pas. Je pouvais à peine travailler, je me sentais tout le temps nerveux. Une vibration se faisait entendre et je croyais que c’était le maudit téléphone qui sonnait. Un petit objet tombait au sol et je sursautais: un appel? Ben non!
C’est quand je crus que tout ceci était une farce que le fameux téléphone sonna, un bon soir. J’étais parti chez un ami, on a bu un verre ensemble. Et là, le téléphone a sonné. « Tu vas te rendre au 429 rue Desaulnier, entrer et tuer la personne qu’il y a là. S’il y a plusieurs personnes, faut les tuer toutes. Tu as jusqu’à minuit pour faire ça, puis ensuite jusqu’à l’aube pour te débarrasser des corps à ta convenance. » Et ça raccrocha! Affolé, je ne pouvais croire que c’était sérieux, mais oui ce l’était!
- Désolé, faut que j’y aille, annonçai-je à mon ami. Une urgence au travail.
- My god! Un samedi soir, yest proche de minuit!
- Ah mon Dieu, ah non! 22h45! Juste me rendre chez moi y va être 23h30 sinon plus tard, et ça va me prendre une bonne demi-heure me rendre où on m’a demandé d’aller, après! Y m’ont dit qu’y faut que ce soit fait pour minuit! Je capote!
- Capote pas comme ça, on peut s’arranger. Tu peux pas appeler un taxi?
- Oui, c’est vrai, on y va avec ça.
Le taxi mit déjà quinze minutes pour arriver, mais il me permit d’arriver à destination à 23h15. Rendu là, je me heurtai à une porte close. J’avais bien compris, il fallait entrer, coûte que coûte. Alors je frappai à la porte, on m’ouvrit, j’entrai de force et vargeai sur l’occupant à coups de poing et à coups de pied, jusqu’à temps qu’il ne bouge plus. La chose faite, je l’étranglai pour la forme, vérifiai que son cœur ne battait plus et qu’il ne respirait plus, puis entrepris de mettre le corps dans un grand sac poubelle que je trouvai là sur les lieux. Je traînai le corps jusqu’à dehors, rappelai un taxi, demandai à me faire conduire au bord de l’eau, attendis que le taxi soit parti et jetai le corps à l’eau, puis rentrai chez moi à pied. C’est là que je constatai la gravité de ce que j’avais fait pour sauver ma peau et celle de mes proches, et je vomis et pleurai.
À peine eus-je le temps de me remettre du choc initial que le petit téléphone jetable sonna à nouveau. « Tu dois te rendre au 525 rue des Hôtels, entrer coûte que coûte et tuer tous les occupants. Tu as jusqu’à 4h30 du matin et jusqu’à midi pour te débarrasser des corps. » Estimant avoir le temps de marcher, je me rendis là-bas, très inquiet. Je trouvai là le chauffeur du taxi qui m’avait mené de chez mon ami, sa femme et sa fille, que je dus tuer. J’emmenai ensuite de peine et de misère les corps au fleuve où je les jetai.
On m’appela encore: c’était le deuxième chauffeur de taxi, celui qui m’avait mené avec le corps de chez ma première victime au fleuve! Oui oui, on me faisait tuer toute personne que j’avais impliquée dans le premier meurtre! C’est là que je compris: mon ami, pour m’avoir parlé de ses appels, avait reçu la mission de me tuer, a craqué, et est allé voir la police. Ça lui a coûté la vie, et là parce qu’il s’est sacrifié pour moi, c’est moi qui hérite de son boulot! Quelle galère!
Ensuite, le téléphone se tut pour une semaine, puis on me demanda de tuer une autre personne, et encore une autre. Je ne comprends pas pourquoi la police n’enquête pas plus que ça. Je porte des gants lors des meurtres, je me suis doté d’un couteau depuis, ça va mieux, je ne laisse jamais rien derrière sur les lieux, mais il me semble que je devrais en faire plus pour masquer mes traces. Peut-être ces gens-là contrôlent la police? Ils ont menacé des personnes clé. « Tu dois cesser l’enquête sinon on tue toute famille, puis toi après que tu aies été témoin de toutes ces morts! »
Je constatai vite que l’anxiété de me faire appeler était si grande que je ne pouvais rien faire. Je ne pouvais plus travailler, car je devais être prêt à tout moment de laisser ce que je faisais et partir tuer. Je ne pouvais plus aller nulle part à plus de quelques kilomètres de chez moi, craignant me faire appeler pour une urgente mission. Même si je possédais une voiture, estimai-je, ça ne changerait rien; on m’enverrait faire des missions plus loin de sorte que j’aurais toujours du mal à m’y rendre si je ne partais pas de chez moi. Je n’osais plus parler à personne, de peur d’en dire trop et qu’on me demande de tuer cette personne, après. Je me rendis compte que le confinement durant la pandémie, c’était une partie de plaisir à côté de ce que je vivais là!
Ne pouvant gagner ma vie autrement, quand j’entrais dans une maison pour tuer ses occupants, je la fouillais rapidement et récupérais des objets de valeur que je revendais. Une fois même, je trouvais cette femme que j’avais à tuer de mon goût, alors j’ai tué son mari et ses enfants, puis je l’ai violée, pour ensuite la tuer. Je me suis rendu compte que ça faisait le plus grand bien et que ça m’aidait à supporter l’attente d’un prochain appel.
Je ne sais pas combien d’autres sont dans la même situation que moi. Se pourrait-il que cette organisation de l’ombre ait commencé petit, obligeant des personnes à tuer sans pouvoir mettre leurs menaces à exécution. Un jour, par contre, il fallait bien le faire, montrer qu’ils étaient capables de le faire, et rendu là ils pouvaient possiblement influencer des personnalités publiques: la police, le gouvernement. Mais il faudrait faire chanter la police ou être un expert en hacking pour accéder aux informations permettant de retrouver tous les membres de la famille à tuer, même à l’étranger! Peut-être une intelligence artificielle balayant les réseaux sociaux pourrait réussir? Toujours est-il qu’il fallait une grande puissance, quasi divine, pour mettre ces menaces à exécution, et pourtant ils avaient montré pouvoir le faire!
Personne ne sait qui ils sont. J’ai plusieurs fois songé me présenter au poste de police pour porter plainte, mais ils vont simplement me prendre le téléphone pour analyse. Si le téléphone sonne et n’est plus en ma possession, le sauront-ils? Ça n’a pas d’importance, ai-je compris. Tout ce qui importera, c’est que j’aurai failli à ma mission, peu importe pourquoi, et ils tueront toute ma famille!
Je crois que seul le suicide me libérerait de cette hantise constante, et encore, peut-être après ma mort, ils tueraient toute ma famille quand même! Je ne peux ni en finir avec tout ça, ni abandonner les missions, ni aller voir la police. Je ne peux qu’attendre et quand ça sonne, peu importe je fais quoi, peu importe l’heure, répondre, et faire ce qu’on me dit, dans le temps imparti. Sinon, c’est fini pour moi et bien d’autres. Alors ma vie se résume à attendre, surveiller le téléphone, le brancher quand il commence à décharger, et répondre, surtout répondre, quand on appelle. Je ne dois rien faire, juste conserver mon énergie pour quand c’est le temps de répondre et aller tuer. C’est maintenant tout ce qui importe.