Jocelyn et Aline jasaient dans la balançoire, dans la cour, à propos de trucs divers dont des travaux à faire chez leur fille, le banc de parc pour leur garçon qui n’était pas au goût d’Aline qui voulait lui refaire une couche de vernis tandis que Jocelyn prétextait qu’il était bien beau comme ça et que ça ne valait pas la peine de racheter du vernis pour ça. Jocelyn argumenta que les enfants vont grafigner le banc anyway, alors à quoi bon faire ça parfait? Aline capitula, fit mine d’être découragée, mais en fait, elle aimait ça s’obstiner pour rien avec son mari. Elle savait qu’il ne changerait pas d’idée, mais voulait s’amuser à essayer, comme certains hommes solitaires s’amusent parfois à évoquer une image féminine, la renforcer avec une quantité d’énergie avec laquelle ils ne peuvent pas se permettre de jouer, puis s’escriminer à détruire l’image. Fabriquer une oeuvre pour la détruire, créer un système pour le laisser se déstabiliser de lui-même, c’est presque comme lancer une balle et la voir retomber.
Alors Jocelyn et Aline discutaient bien tranquilles dans la balançoire quand un étrange bougre fit irruption dans la cour. Ah non, se dit Aline, quand elle vit le bonhomme. JIMMY! Dans la COUR! Mais pourquoi??????
- Hello, commença le jeune homme, en descendant de son vélo vert. J’suis v’nu voir… euh… voir Marc.
- Yest même pas là! s’exclama Jocelyn, éberlué.
- Ah, fit innocemment le nouveau venu, j’pensais qu’yétait resté… euh… resté chez v… v… v.. vous. Y m’a écrit, y m’a écrit qu’y qu’y aurait mieux euh… mieux aimé rester chez ses parents depuis des années euh… parce que euh… parce qu’il est en train de devenir fou. Y répondait plus faque j’me suis dit qu’yétait revenu vivre ici. Hum hum hum! Atchoum! Crisse vous avez ben du pollen ici! Atchoum! Vous auriez dû attendre qu’y s’trouve une blonde avant d’lui d’mander d’partir. Sur ce, Jimmy toussa et cracha par terre, plusieurs fois.
- Ben non! confirma Jocelyn, le père de Marc, yest pas ici.
- Pis c’est lui qui a décidé de s’en aller, corrigea Aline, un peu choquée, on n’a jamais fait d’pression.
- Hé! T’as des belles plantes Aline, enchaîna Jimmy, passant du coq à l’âne. Tu devrais p… p… prendre plus de basilic, yen a trop, y va mourir si on le prend pas.
Joignant le geste à la parole, Jimmy se mit à arracher du basilic.
- AYE NON! s’exclama Aline, presque au bord de la panique, arraches-en pus là!
- Y va mourir, insista Jimmy, amusé par la réaction plutôt excessive d’Aline parce qu’il avait arraché plusieurs grosses branches du plan de basilic « mourant », laissant là juste de toutes petites feuilles, et il s’apprêtait à en arracher d’autres.
- Touches-y pus! ordonna Aline.
- Capote pas, conseilla Jimmy. Y va mourir si on en prend pas.
- Grrrr, s’énerva encore Aline. Laisse-moi m’occuper d’mes plantes.
Dans le reste du texte, nous n’allons pas reproduire les balbutiements, répétitions et intenses quintes de toux de Jimmy, mais sachez qu’elles sont là, et contribuent à taper sur les nerfs juste à écouter ce bougre. Mais ce qu’il dit, en plus, choque, froisse, blesse, mais comme il dit, ce n’est pas grave. Dehors, Jimmy crache partout, aussi bien directement au sol que dans un bac à fleurs ou une fontaine. À l’intérieur, il fait un effort raisonnable pour se rendre au lavabo, mais parfois, il crache sur la table et jure de ramasser puis oublie.
Jimmy retourna vers la balançoire, toisa les parents de son ami du regard et, par défi ou juste par inconscience totale, il s’alluma un joint. Oui oui, en plein dans leur face!
- Aye boucanne-nous pas dans face là! se plaignit Aline.
- Y faut vraiment que j’voie Marc, là, supplia Jimmy, faisant fi de la demande d’Aline. J’l’appelle pis ça va dans la boîte vocale, y répond plus sur Facebook, j’suis allé chez lui, cinq fois, pis yest pas là, peut-être que si vous l’appelez y va répondre?
- J’te mettrai pas en contact avec lui certain, rétorqua Aline de plus en plus agacée.
- C’est normal qu’il veuille plus rien savoir de toi, ajouta Jocelyn. T’as essayé d’sacrer l’feu chez lui!
- J’étais choqué quand j’ai fait ça, pis j’ai pas fait exprès, tenta maladroitement de se justifier Jimmy.
- Ben là! protesta Jocelyn. T’avais tu d’affaire à allumer ton briquet à l’intérieur? Marc voulait pas qu’on fume en-dedans, il te l’avait dit, pis en plus t’as juste allumé ton briquet pour rien.
- Proche des rideaux en plus! ajouta Aline, accusatrice.
- J’fais ça souvent chez moi, expliqua Jimmy, pis ça dérange pas. J’avais pas vu qu’il y avait des rideaux.
- Peuah! fit Aline, pas convaincue du tout par cette boiteuse explication.
- Mais là faut vraiment qu’y m’pardonne! supplia Jimmy. J’suis allé chez lui, cinq fois, cinq fois, j’suis allé chez lui cinq fois, cinq, pis yest pas là. Yest peut-être parti, mort, vous devriez l’appeler pis j’pourrais lui parler en même temps.
- Non! répondit Aline, agacée.
- J’suis prêt à l’héberger chez moi le temps des travaux chez lui. Ça pourrait être pour tout le temps, aussi, si y veut, mais juste si y veut, mais ce serait le fun, pour lui et pour moi. Mais juste si y veut. Marc serait plus heureux chez moi que seul chez lui ou chez vous, vous seriez moins inquiets pis tout le monde y gagnerait. Parce que vous l’avez toujours rendu malheureux en lui laissant pas fumer du pot dans la cour. R’gardez, juste sortir un joint pis vous m’regardez méchant. Lui osera pas.
- Tu devrais t’en aller, là, demanda Jocelyn, sur un ton légèrement menaçant. T’es pas l’bienvenu ici, après c’que mon gars m’a dit d’toi.
- Ben voyons là! s’exclama Jimmy, feignant la surprise. Qu’est-ce que j’ai fait? Marc a pas l’esprit clair. C’est à cause de ça que j’ai mis le feu. Il est en train de devenir fou et ça m’a rendu fou, ce soir-là. Mais là je jure, je promets, que je le ferai plus, et je sais comment l’aider! Je sais comment l’aider, mais y veut pus d’moi. Faut vraiment que vous lui parliez en ma faveur, sinon y va devenir fou. C’est une question de vie ou de mort!
- Tu t’imagines des choses, là, assura Jocelyn. Tu penses que ça va aider Marc de v’nir vivre chez toi, mais ça va LE rendre fou s’il ne l’est pas déjà.
- Tit puff? offrit Jimmy, en tendant son joint à Aline.
- Euh non merci là! déclina cette dernière, un peu offusquée. Après tout, Jimmy devait savoir qu’elle ne prenait pas de cannabis.
- Non merci, déclina Jocelyn à son tour quand Jimmy lui tendit le joint allumé, tison vers le haut.
- Je sais comment l’aider, répéta Jimmy. Y faut juste que Marc vienne vivre chez moi, avec moi, quelques jours, quelques semaines. Ça sent mauvais chez lui à cause du feu, y devrait pas vivre là, surtout pas seul.
- On le sait! s’exclama Aline. Mais y veut rien entendre. Maudite tête de mûle.
- Mais c’est pas nécessairement fou, nuança Jocelyn. Faut que quelqu’un reste pour surveiller si les travaux se passent bien.
- Mais j’pourrais y aller, voir, de temps en temps, essaya Jimmy. Ça me ferait moins mal de voir l’appartement détruit que lui. Pour lui ce serait un deuil, mais pour moi ce serait d’assister à la construction de quelque chose de nouveau.
- Mais pourquoi tu veux tant qu’ça l’aider? demanda Aline.
- Parce qu’yest riche, expliqua Jimmy, pis si y m’aime parce que grâce à moi il est guéri de la folie, y va m’aider à payer mon loyer et peut-être même m’acheter un char.
- Ah mon doux!!! fit Jocelyn.
- Tit puff? tenta à nouveau Jimmy. Tous deux déclinèrent, poliment mais d’un ton un peu agacé.
- On aime les mêmes choses, ajouta Jimmy. J’sais comment rendre votre gars heureux. Sans moi y va virer fou. Faut vraiment que vous lui parliez en ma faveur.
- J’pense pas que Marc soit si malheureux que ça, contra Aline, incrédule. La dernière fois qu’on l’a vu il avait l’air bien correct.
- Il est stressé un peu, ajouta Jocelyn, mais pas en train de devenir fou! Pis là compte-toi chanceux d’pas être arrêté pour incendie criminel. C’est Marc qui a tenu à ce qu’il y ait pas d’plainte. J’pense que c’est déjà l’mieux que tu vas pouvoir avoir de lui!
- T’as pas vu la vidéo? demanda Jimmy.
- Quelle vidéo? demanda Aline.
- Ah y vous a pas montré ça, la vidéo, taquina Jimmy, énigmatique et fier de son coup. Yest tannant. J’vais vous la montrer, vous allez voir. Tit puff? Encore! Les parents de Marc déclinèrent à nouveau.
Espérant qu’il parte enfin, Aline et Jocelyn décidèrent de le laisser montrer sa vidéo. Ce qu’ils virent là était aussi surprenant que choquant. Marc, en intense furie, tapait avec un marteau sur un tabouret posé sur le balcon. Jimmy, qui filmait avec son téléphone, riait derrière la caméra. Tout en démolissant le tabouret, Marc s’époumonnait comme si on était en train d’essayer de l’égorger comme un cochon.
- Ben voyons! s’exclama Aline, éberluée. C’est pas lui ça!
- Ben oui, c’est votre Marc. Il est en train de devenir fou, y veut juste pas se l’avouer. Moi j’peux l’aider, je sais comment, mais il faut que vous l’convainquiez d’accepter ce que j’ai à lui offrir.
- Là tu vas laisser mon gars tranquille! hurla Aline, pensant possiblement à quelque chose de différent de ce qui était dans la tête de Jimmy, mais peut-être pas non plus. Y va finir par virer crack pot à cause de toi. Pis nous autres aussi!!! Aline renifla quelques fois, sur le bord de fondre en larmes.
- Ben non, pleure pas là, ya juste besoin de moi. C’en fut trop pour Aline qui le giffla!!! Oui oui! Jimmy, loin de se laisser démonter, éclata de rire, se frotta un peu le visage, aspira dans son joint et puis… Tit puff? Oui oui, encore, il n’avait pas compris.
C’est alors que Jocelyn prit le joint, Jimmy fit Oh oh oh oh…. plein d’espoir. Croyait-il vraiment que Jocelyn allait fumer du pot pour la première fois là, dehors, dans la cour, aspirer dans le joint de Jimmy? Faut être naïf un peu pour penser une seconde que ça pourrait arriver! Mais lui, on aurait dit, croyait que oui, ou bien savait que non et voulait juste picosser pour se faire crisser dehors à coups de pied et puis se plaindre après que tout le monde le détestait. Au lieu de prendre un puff comme Jimmy espérait voir, un sourire de victoire peint sur les lèvres, Jocelyn se leva, jeta le joint par terre sur le patio, le piétina plusieurs fois, le sourire de Jimmy s’effaça, Jocelyn se baissa, reprit le joint et le jeta au loin.
- C’est tu assez clair ça? explosa Jocelyn à son tour. Là j’veux qu’tu crisses le camp d’icitte sinon j’appelle la police!
- Ben voyons! fit Jimmy, avant d’éclater de rire, pas besoin d’la police pour ça!
Il fit mine de rester sur place, puis se dirigea vers la sortie de la cour, qui menait en avant de la maison.
Puis il lança ceci:
- Votre Marc aurait besoin d’un animal en attendant d’avoir une blonde, ou un homme. Un chien, un chat. Vous devriez pas l’empêcher d’avoir un chien, il aime ça les chiens, il en parle tout l’temps.
- Aye! riposta Aline, choquée. Jamais on n’a empêché Marc d’avoir un chien! C’est lui qui veut pas!
- Laisse-le faire, conseilla Jocelyn, y comprend pas c’qu’on dit.
Résigné, Jimmy s’en alla enfin. Le regard noir de Jocelyn et son geste vers le téléphone sans fil posé sur la table de la balançoire y furent certes pour quelque chose. Mais rendu près d’en avant de la maison, Jimmy baissa ses culottes et PISSA par terre!!!!!! Oui oui. Puis il dirigea le jet vers les fleurs et puis remonta pour en pisser un bon coup direct sur la maison! De l’urine entra même par les moustiquaires jusqu’à l’intérieur! Jocelyn, en furie, se leva d’un bond, s’approcha, toisant Jimmy d’un regard méchant. Jimmy recula d’un pas, sentant que cette fois il était peut-être allé trop loin et risquais de se faire passer un méchant sapin. Mais au lieu de s’excuser, il en rajouta avec ceci:
- Tant qu’à être barré m’a être barré, justifia Jimmy en finissant son pipi.
- Ben t’es barré ben net! confirma Jocelyn. Puis il enchaîna avec ceci: t’es une nuisance publique, une plaie, un parasite, une peste! T’arrives quequ’ part, pis tu fous l’chien, pis en plus tu pisses partout? Même les animaux y font pas ça! Si j’étais ton père, j’aurais honte de toi! Si j’avais pas d’femme pis d’enfants, j’te tuerais, dret là! Ça m’dérang’rait pas d’aller en prison après avoir débarrassé l’monde d’une gangrène de cancer comme toi! Asteur décalisse pis j’veux pus JAMAIS t’voir! T’as compris?
Jimmy, apparemment ébranlé, fit signe que oui, puis remonta en scelle, partit en ligne droite et roula sur les plantes d’Aline pour atteindre le trottoir. Fiou! soupirèrent les parents de Marc, quel moineau.
Ce soir, ils durent se faire une salade avec tout le basilic que Jimmy avait arraché pour rien. Ils étaient bien surpris et choqués de sa visite mais aussi inquiets à l’idée que Marc aille beaucoup moins bien qu’il ne leur laissait croire. Ah si seulement il pouvait se décider et revenir habiter à la maison. Marc chez nous et Jimmy chez son frère, ce serait le best, pour un tit bout. Mais ça n’arrivera pas, ils sont trop tous deux têtes de pioche pour ça. Ils vont finir par se battre et s’entre-tuer, c’est ça qu’on a bien peur.
Aline avait honte d’elle-même.
- Aye j’ai jamais gifflé quelqu’un d’même. J’étais vraiment choquée, là.
- Fais-toi en pas avec ça, rassura Jocelyn. C’est juste comme ça qu’il pouvait comprendre, et encore. Si j’m’étais pas retenu, j’lui aurais sacré une bonne volée moi aussi.