Dimanche, 23 juin 2024, j’ai compris ce qu’il fallait que je fasse pour cesser de ruminer ces mauvais souvenirs. Tant qu’il me resterait des cadeaux de Jimmy en ma possession, je ne pourrais trouver la paix. C’était presque aussi clair que si Dieu lui-même m’avait dit quoi faire. Mais je ne pouvais pas me résoudre à faire ainsi, la logique me criant que ça n’avait pas d’allure.
J’ai profité de cette journée maussade pour travailler sur mon robot. J’y étais presque. Il manquait quelques soudures pour que la carte mère soit connectée avec les circuits moteurs et ça y était. En fin d’après-midi, j’étais prêt à allumer mon robot. Cela provoqua un court-circuit qui endommagea le circuit imprimé. J’en avais certes commandé plusieurs copies, me doutant que j’allais peut-être en casser un ou deux, mais ça n’en demeura pas moins très frustrant. Après, la fatigue et la déprime ne lâchèrent plus.
Après le souper, n’y tenant plus, je décidai d’entreprendre ce que j’ai appelé le pèlerinage de la rédemption. L’idée était toute simple: partir avec le strict minimum et me rendre à pied chez Jimmy, pour lui ramener son stock.
Il y avait un saxophone à moitié cassé qu’il m’avait offert, une harmonica qui sonnait faux, des babioles en fausse porcelaine qui était en fait du plastique et un petit porte-clé en plastique semi-mou qui a fini par casser mais que j’ai gardé. J’ai mis les petits objets dans un sac en bandoulière et le saxophone dans un plus grand sac. J’ai emporté avec moi mon téléphone pour pouvoir vérifier Google Maps mais pas d’argent, pour ne pas être tenté de finir le trajet en transports en commun. Pour que le pèlerinage réussisse, il me fallait l’effectuer à pied, et plus il allait mouiller, plus j’en ressortirais purifié. En tout cas, c’est ce que je pensais que le Seigneur m’avait dit! J’étais tellement épuisé, tellement à bout de ces échecs successifs avec le robot, que j’en suis arrivé à me persuader que c’est cela qu’il fallait faire.
Alors je suis parti, à la grosse pluie. Je n’ai pu marcher qu’un coin de rue avant de finir les pieds mouillés en marchant dans une flaque d’eau. Malgré ce revers, j’ai poursuivi ma route, vers le nord, vérifiant régulièrement que j’avais toujours mes sacs et que je n’avais pas dépassé la rue qu’il me fallait atteindre avant de tourner à l’est pour poursuivre ma marche.
Cela m’a semblé durer une éternité. Je me suis fait arroser plusieurs fois par des gens passant en voiture, marché d’innombrables fois dans des flaques d’eau de plus en plus profondes, me suis tellement fait mouiller que je n’aurais probablement pas besoin de prendre une douche le soir venu. Mes vêtements imbibés me semblaient tellement lourds que je me demandais si ce ne serait pas plus facile de marcher nu mais je ne pouvais me résoudre à enlever mes vêtements et les jeter au sol!
J’ai fini par atteindre la rue, tourné à l’est, continué, mais en chemin, mon téléphone a pris l’eau et m’a lâché complètement, ce qui m’a arraché un épouvantable cri! Rendu là, il faisait noir et la pluie torrentielle on aurait dit avait augmenté d’intensité. Les lampadaires s’éteignirent de sorte que tout ce qu’il restait pour m’aider à me diriger, c’étaient la lune et de rares éclairs qui devinrent, par « chance », de plus en plus fréquents. Régulièrement, je criais des jurons que personne n’entendait. J’ai même fini par lever la tête au ciel et gueuler, à pleins poumons, FUCK YOU! Oui oui, j’en étais rendu à envoyer promener le CIEL!
Mais un moment donné, j’ai aperçu le point de repère qui m’indiquait que j’avais atteint ma destination! Oui oui, c’était là, tout concordait. Il me suffisait de tourner à gauche, m’engager sur la rue, et marcher un peu. La maison en briques brunes avec la voiture orange était bien là. « Jimmy ne sera même pas là! » me rappela une nouvelle fois la voix intérieure de ma mère. « Tu vas faire tout ça pour rien et être déprimé encore plus » ajouta la voix intérieure de mon père.
Sans me laisser démonter, ne pouvant tout simplement pas rebrousser chemin rendu si près du but, je gravis les marches menant à la porte, et frappai trois coups. Pas de réponse. Je frappai encore, toujours pas de réponse. Au moment où je m’apprêtais à poser mon stock sur le balcon et tourner les talons, la porte s’ouvrit.
- Aye salut Marc! m’accueillit Jimmy, tout heureux de me voir. Qu’est-ce qui t’amène ici?
- J’suis v’nu rendre à César ce qui appartient à César, répondis-je, avant de tendre à mon ancien ami l’étui contenant le saxophone mourant ou qui n’a jamais très bien fonctionné, ouvrant mon petit sac (que je ne voulais pas donner) pour en étaler le contenu sur une petite table qu’il y avait près de la porte.
- Mais voyons donc! Qu’est-ce que tu fais là?
- Dieu m’a dit de venir, pour faire ça, pour être libéré, et être purifié par cet acte et par la pluie.
- My god! T’as marché d’puis chez toi??? s’étonna Jimmy, en constatant à quel point j’étais trempé.
- Oui, répondis-je simplement, avant d’esquisser le geste de tourner les talons.
- Mais voyons! Entre pour te sécher un peu!
C’est là que j’ai constaté à quel point j’étais trempé. Mes vêtements étaient rendus lourds et chaque fois que je bougeais, il gouttait plein d’eau. Je n’étais pas certain que je réussirais à marcher comme ça jusqu’à chez moi. C’était à un point tel que Jimmy retourna à l’intérieur, revint avec un panier et me demanda d’enlever tout ce que je pouvais enlever et le mettre dedans. La chose faite, il ne me restait que les sous-vêtements eux aussi trempés. Jimmy m’a tendu une serviette que j’ai amenée avec moi dans la salle de bain, j’ai enlevé mes sous-vêtements, les ai tordus au-dessus de la baignoire et puis enroulé la serviette autour de ma taille.
Jimmy et moi on a tordu mes autres vêtements et on les a mis dans la sécheuse. On a ensuite essayé de faire sécher mes souliers avec un séchoir à cheveux, ce qui a eu un succès relatif mais au moins c’était moins trempé.
Pendant que mes vêtements séchaient dans la sécheuse de Jimmy, j’ai dû le supporter, l’écoutant me supplier de le pardonner, qu’il ne le ferait plus, ne remettrait plus le feu chez moi, qu’il n’a pas fait exprès, etc. J’ai tenté de dévier la conversation en lui parlant de mon robot détraqué. Lui était persuadé savoir quoi faire pour le robot, ce dont je doutais. Le saxophone était fini, la pluie l’ayant tué. Mais l’harmonica, Jimmy trouva un moyen de la sauver! Elle sonnait bien après, je n’ai pas tout à fait compris ce qu’il a fait.
Mes vêtements séchés, je les ai remis et c’était très agréable comme sensation de ne plus porter des trucs trempés. On a continué de jaser, je me suis rendu compte que ça faisait du bien le revoir et on a décidé de garder contact. Il m’a ramené chez moi en voiture et sur le trajet de retour, la pluie a semblé quadrupler en intensité et il y a eu de la grêle. Jimmy m’avait sauvé de tout ça et je ne pouvais que lui en être reconnaissant.
C’est ainsi qu’en espérant enfin tourner la page avec Jimmy par ce pèlerinage de la rédemption aussi improvisé que ridicule, j’avais fait exactement le contraire, amorçant un nouveau chapitre d’une saga qui me laissait trop souvent exaspéré, déprimé, furieux, désillusionné, pour quelques rares mais précieux moments de joie. Seul l’avenir dira si ce sera bon ou mauvais, mais tous à l’exception de Jimmy et Marc semblaient penser que ce sera mauvais.
Cette histoire montre à quel point il est important d’agir avec jugement, comprendre ce que l’on fait, surtout quand on pense que Dieu nous a demandé de faire ceci ou cela. Le Seigneur ne nous a pas doté du libre arbitre pour qu’on fasse bêtement ce qu’on nous dit de faire, même si on nous dit que c’est Dieu qui a dit de faire ça. C’est à nous d’exercer notre jugement, notre logique, pour évaluer si une action est bonne pour nous et les autres ou pas.