Un passé simple ou un futur incertain?

Lorsque Rémi se coucha ce soir-là, il était un peu inquiet, car toute la soirée, ça lui avait piqué dans les yeux. Il a malheureusement trop frotté avant de se forcer à cesser d’y toucher, ce qui a accru l’irritation. Avant de se coucher, il a tenté de se rincer les yeux avec une débarbouillette, mais il était trop tard, le mal était fait. Rendu là, ça chauffait tellement que Rémi n’arrivait pas à dormir. Il tenta par un effort de volonté de dominer la sensation, qui s’approchait de plus en plus d’une douleur constante et lancinante. Cela ne fonctionna pas du tout et le plongea dans une colère telle qu’il en vint à se frotter les yeux vigoureusement, ce qui ne l’aida pas du tout. Il retourna à la salle de bain se rincer les yeux puis tenta de simplement observer la sensation.

Au début cela allait, mais ça se mit à chauffer de plus en plus, puis l’anxiété embarqua. Rémi craignait que ça ne cesse jamais, qu’il soit obligé de consulter et qu’on lui prescrive des gouttes. Il détestait les gouttes depuis son enfance; ça lui donnait des malaises passant proche de l’évanouissement. Rémi était inquiet, il se demandait comment il allait réussir à se mettre des gouttes et s’il n’allait pas être obligé de retourner vivre chez ses parents le temps de la convalescence qui pouvait durer entre plusieurs jours et plusieurs semaines. Juste cette idée le mettait en maudit: devoir trimballer là-bas plein de stock ou s’en passer, se retrouver en arrêt de travail ou devoir se taper le double du trajet pour aller travailler, laisser tomber les soirées entre amis car personne ne viendrait chez ses parents à Saint-Basile, etc. Rémi tenta de se raisonner, peut-être des professionnels avaient des trucs qu’il pourrait appliquer pour se mettre des gouttes en toute sécurité et en plus ça pourrait l’aider à vaincre cette peur absurde. Mais la douleur revenait, et de la douleur revenait l’inquiétude, et de l’inquiétude jaillissait la colère de l’impuissance. Rémi ne parvint pas à surmonter cela; il y perdit la nuit. C’est seulement à 4h du matin qu’il pensa mouiller une débarbouillette, se la mettre sur les yeux et se coucher sur le dos, laissant là la débarbouillette humide. Ça faisait moins mal comme ça, il aurait presque pu dormir s’il ne s’était pas autant pompé.

Il se leva bouffi de fatigue à 5h du matin, mort de faim. Il mangea, tenta de se connecter à la plateforme de télémédecine de son employeur et c’est avec peine qu’il y parvint, sa vue étant embrouillée rendu là. Dès qu’il essayait de lire un peu trop, ses yeux lui pleuraient ou il voyait flou! Rémi fut au bord de la panique, passant proche appeler le 911, mais il parvint à se dominer et obtenir le rendez-vous. Cela fut vain: on l’envoya à l’urgence, car il allait falloir qu’un professionnel vérifie ses yeux.

Peut-être si Rémi avait omis de signaler qu’il avait une déficience visuelle: seul son œil gauche fonctionnait, et partiellement. Dès que le médecin à distance a su ça, probablement il n’a pas pris de chance, ne voulant pas risquer de perdre l’œil de son patient.

Rémi tenta de se rendre à la clinique proche de chez lui. Il y parvint de peine et de misère, car sa vision s’embrouillait souvent. Dès que la réceptionniste vit ses yeux rouges, elle avertit Rémi qu’il serait mieux de se rendre à l’hôpital. Elle proposa de lui appeler un taxi, ce qu’il accepta; rendu là, il n’y avait pas grand-chose de plus à faire que ça.

À l’urgence, un médecin fit un premier examen et diagnostic une conjonctivite. On se demande si Rémi n’aurait pas été bien plus affligé si on lui avait diagnostiqué un cancer. Pour lui, ça semblait la fin du monde. Le médecin lui prescrivit des gouttes plusieurs fois par jour et comme Rémi n’avait qu’un seul œil fonctionnel, il recommanda un suivi d’urgence avec un ophtalmologiste. En gros, on allait commencer avec les gouttes puis le spécialiste déciderait si on fait plus. Ah là là!

Rémi expliqua son appréhension pour les gouttes. Le médecin lui dit qu’il allait devoir vaincre sa peur ou trouver quelqu’un pour lui mettre les gouttes; le système public ne pouvait pas faire plus pour lui. Quelle tristesse n’est-ce pas?

Tout portait à croire que la conjonctivite avait été causée par des irritations dans ses yeux fragilisés par l’exposition à répétition au poil de chat. Rémi avait un petit minou depuis un an et s’amusait trop souvent à se frotter le visage dessus, ce qui lui mettait du poil plein les yeux. Il a prit l’habitude de se laver les mains régulièrement, mais parfois il oubliait, flattait le chat puis se frottait les yeux tout de suite après. Cela faisait quelques semaines qu’il avait identifié ce comportement potentiellement problématique, il a tenté de perdre ces mauvaises habitudes, mais il n’a pas assez bien réussi faut croire parce que les irritations ont persisté. Le médecin pense, mais l’ophtalmologiste aura le dernier mot, que Rémi devra soit mettre des gouttes dans ses yeux tout le temps, soit se débarrasser de son chat! Ah quelle tristesse!

La simplicité

Quand Rémi est rentré chez lui, tout ce qu’il put faire, c’est appeler sa mère pour lui faire part de la mauvaise nouvelle. Cette dernière était 100% certaine que Rémi allait rentrer chez elle et était prête à lui envoyer son mari pour qu’il vienne le chercher. Rémi faillit dire non puis comprit qu’il n’y avait rien d’autre à faire que ça.

Le père de Rémi vint le chercher, Rémi emmena avec lui des vêtements, son laptop, quelques autres affaires, et son chat qu’il ne voulait pas laisser chez lui plusieurs jours. L’animal, pas habitué de se faire déplacer, miaula comme un bon tout le long du trajet, et rendu chez les parents de Rémi, alla se cacher sous son lit et y passa trois jours sans sortir, puis il sortit timidement et finit par se promener dans le sous-sol où il était confiné. Il ne miaula pas pour monter, mais il fit beaucoup de dégâts. Il perça des trous dans le vieux sofa, arracha des fils des douillettes dans les deux chambres du sous-sol, fit des grafignes de griffes sur plusieurs murs et arracha la moustiquaire de la fenêtre heureusement fermée. Il fit tomber un bibelot en bois qui cassa, grimpa sur une table et poussa une lampe par terre, laissa des traces de pattes sur une petite table basse et fit tomber tous les livres de la bibliothèque qu’il y avait là.

Rémi se reposa et se fit mettre des gouttes. Les trois premiers jours, ce fut ça, journées de maladie. Après ça, il voyait moins embrouillé et put essayer de travailler. Il s’entendit avec son patron pour au moins pouvoir travailler à distance, mais cela ne fonctionna pas bien, car tous les autres étaient au bureau. Il dut se résoudre à aller au bureau en autobus et en métro. Sa mère proposa de le mener à la station de métro en auto, ce qu’il accepta parce que ça lui sauva un bon vingt minutes. Au moins, sa conjonctivite guérit et l’ophtalmologiste qu’il consulta ne trouva pas d’autres soucis. Il recommanda à Rémi de se débarrasser de son chat à moins d’être prêt à mettre des gouttes dans ses yeux tous les jours, pour tout le temps. Rémi dut se faire à l’idée et donna son chat à un ami. C’était triste, mais c’était ça.

De retour chez lui, plus de chat mais au moins plus de conjonctivite, Rémi fut très triste. Il en vint à regretter de rester seul chez lui et finit, après quelques mois, par déménager à Saint-Basile, renonçant à beaucoup d’autonomie. Il allait devoir dépendre de ses parents pour toujours, et à leur mort, ce seraient à son frère ou sa sœur de décider de son sort. Rémi avait bien peur qu’ils n’aient d’autre option que le faire placer quelque part, mais comme disait sa mère, on verra rendu là.

S’entêter pour rien

Rémi savait que s’il prévenait ses parents de son diagnostic, ils tenteraient de l’inciter à retourner à la maison, ce qu’il ne voulait pas faire même si possiblement c’était le mieux à faire. Il les préviendrait lorsqu’il aurait une solution en main! Ainsi, il serait mieux à même de résister à la tentation de juste être mou et céder. Il décida de s’essayer à mettre les gouttes. Mais plutôt que juste s’essayer, il tenta de contacter l’Institut Nazareth et Louis-Braille, espérant qu’ils auraient des trucs à lui donner. Il ne put obtenir un rendez qu’avant quinze jours! Eux aussi recommandaient qu’il aille vivre chez un proche pour se faire mettre des gouttes. Rémi était outré, choqué à la limite de l’imaginable. Sa colère eut raison d’un tabouret dont il cassa deux pattes.

Habitué d’être livré à lui-même, les solutions proposées par les autres ne fonctionnant pas ou étant trop contraignantes, Rémi s’essaya. Ce fut une expérience très désagréable. Il avait du mal à figurer si la goutte allait dans l’œil ou pas, surtout celui qui ne voit pas. En plus de ça, parfois il ne réussissait pas à mettre les gouttes, ayant trop peur. Il espérait que cela suffirait mais avait des doutes.

Parfois, les gouttes soulageaient son irritation; il avait moins mal, sa vision était moins embrouillée, il réussissait à mieux dormir. D’autres fois, on aurait dit que ça ne faisait juste rien. S’il sautait une fois, par peur, cela lui faisait super mal quelques heures après. Alors Rémi en vint à penser que quand son irritation s,accentuait, c’est qu’il n’avait pas mis les gouttes comme il fallait et il refaisait une tentative. Parfois, cela réussissait, parfois pas. Résultat? Il devait mettre les gouttes pendant dix jours et rendu au septième jour, il ne lui en restait plus!

Il eut le suivi avec l’ophtalmologiste qui n’était pas très satisfait d’où c’était rendu. L’infection avait progressé et s’était propagée, il allait falloir une intervention au laser pour réparer sa cornée partiellement endommagée! Pire encore, après l’intervention, il faudrait mettre encore plus de gouttes. Il se retrouva à cause de tout ça avec un point noir au centre de champ de vision qui pouvait s’en aller ou pas, mais ça prendrait des mois avant de le savoir. Ce point noir l’empêchait de lire, tout simplement. Il allait être obligé d’apprendre le Braille si ça ne partait pas!

Et il y eut pire! Le chat de Rémi miaulait de plus en plus souvent. Il dut le faire vérifier par un vétérinaire. Eh bien, la conjonctivite de Rémi s’était transmise à son chat! On ne saurait dire si c’est commun ou pas, mais faut croire que ça peut arriver. Ainsi, non seulement Rémi allait devoir continuer à se mettre des gouttes plusieurs fois par jour, mais il allait lui falloir réussir l’exploit d’en mettre à son CHAT!!! C’en fut trop, Rémi dut retourner vivre chez ses parents.

Faire que ce ne soit pas vain

Rémi savait que s’il prévenait ses parents de son diagnostic, ils tenteraient de l’inciter à retourner à la maison, ce qu’il ne voulait pas faire même si possiblement c’était le mieux à faire. Il décida de s’essayer à mettre les gouttes. Mais plutôt que juste s’essayer, il tenta de contacter l’Institut Nazareth et Louis-Braille, espérant qu’ils auraient des trucs à lui donner. Il ne put obtenir un rendez qu’avant quinze jours! Eux aussi recommandaient qu’il aille vivre chez un proche pour se faire mettre des gouttes. Rémi était outré, choqué à la limite de l’imaginable. Sa colère eut raison d’un tabouret dont il cassa deux pattes.

Rémi se calma un peu, puis repensa à une ancienne amie qui avait des problèmes de glaucome et est obligée de se mettre des gouttes très souent. Il la contacta, espérant qu’elle pourrait lui donner des trucs. Il tenta aussi de faire appel au service de psychothérapie de son employeur, parce que peut-être un psychologue pourrait l’aider avec sa peur des gouttes. En attendant des réponses, il réfléchit à comment il pourrait faire pour que ce soit plus fiable mettre les gouttes.

Il aboutit à une méthode peu orthodoxe mais qu’il espérait fonctionnelle. D’abord, il entreposa les gouttes au frigo pour qu’elles soient plus froides. Cela occasionnerait une sensation de froid dans son œil et validerait que la goutte a touché la cornée, ce qui était nécessaire pour avoir la moindre chance que ça fonctionne. Rémi plaça un mouchoir autour du compte-gouttes et put ainsi toucher son œil avec l’assemblage, sans contaminer le compte-gouttes. Du moins c’est ce qu’il pensait. Ainsi, il était plus certain que la goute allait tomber dans l’œil. La sensation du mouchoir contre son œil et le froid de la goutte étaient très désagréables. Rémi avait des frissons chaque fois. Rémi jetait le mouchoir et en prenait un autre à chaque fois, à chaque œil en fait.

Son amie lui répondit seulement quatre jours plus tard, avec peu d’informations utiles, essentiellement de contacter l’INLB, ce qu’il avait fait en vain. Il aurait un rendez-vous mais trop tard. La consultation avec le psychologue eut peu de résultats, mais au moins, cela l’aida un peu pour la gestion du stress. Mais quelques idées de son amie améliorèrent sa stratégie.

Quand sa mère a appris que Rémi avait une conjonctivite et s’était entêté à rester seul chez lui, elle a été bien choquée et en a pleuré! Rémi a trouvé ça plutôt excessif comme réaction, s’est emporté et sa mère ne voulut plus lui parler pendant une semaine. Rémi était bien attristé de ça, puis finit par dire fuck off, la vie continue.

Quand Rémi a vu l’ophtalmologiste, c’était presque guéri, mais il allait être obligé de continuer avec les gouttes. Et il lui faudrait se résoudre à en mettre tous les jours, car son allergie au poil de chat le rendait propice aux irritations dans les yeux qui pouvaient à leur tour augmenter les chances de conjonctivites à répétition quand ses yeux étaient exposés à des agents infectieux, par exemple lors d’une activité extérieure ou à la piscine.

Rémi faillit se débarrasser de son chat, mais il attendit d’avoir le rendez-vous à l’INLB. Après plusieurs difficiles séances, on trouva une stratégie qui fonctionna super bien pour Rémi. Il put guérir complètement de sa conjonctivite et mettre des gouttes préventives pour en éviter d’autres, sans se débarrasser de son chat.

La mère de Rémi se remit du choc et reparla à son fils. Elle comprenait dès lors que Rémi avait eu besoin d’accomplir cette tâche pour grandir, pour aller de l’avant. Rémi non seulement vainquit sa peur des gouttes, mais en plus, il y gagna une plus grande confiance en lui qui l’aida dans sa carrière. Qui aurait cru qu’une infection causée par du poil de chat et un agent extérieur inconnu aurait pu aider quelqu’un à grandir? Et pourtant, c’est cela qui s’était passé.

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