Cela faisait quelques temps que Yannick était sans le sou. Il travaillait comme éclairagiste pour des films et voilà que du jour au lendemain, on lui annonçait qu’il n’y avait plus de job là-dedans. Il envoyait des CV, ne recevait aucune réponse ou bien on lui faisait passer des entrevues qui ne menaient nulle part, le faisant déplacer pour rien. Yannick dut se résoudre à couper dans le superflu, se désabonnant de Netflix, puis de la TV par câble, puis enfin dut réduire la vitesse de sa connexion Internet, se contenter d’un forfait avec peu de données, et ce ne fut que le début. Bientôt, il dut faire appel aux banques alimentaires et troquer son 4 1/2 pour une chambre avec d’insupportables colocs qui faisaient du bruit à toute heure du jour et de la nuit.
Un jour, Yannick rencontra Rémi dans un parc. Le gars était assis là, jouant avec une corde, s’amusant à faire et défaire des nœuds. Ils ont parlé, Rémi faisait des nœuds pour rien, sans aucune technique, juste pour tuer le temps. Rémi était à bout, car à son travail on le pressait comme un citron et de retour chez lui, il trouvait soit une cour intérieure vide en arrière de chez lui, soit d’insupportables bruits de machinerie parce qu’il y avait de constants travaux en face de chez lui. Alors Rémi allait de plus en plus se réfugier dans le parc, avec pour tout accessoire une corde. S’il lisait, il se fatiguait. S’il apportait son laptop pour écrire, la lumière du soleil le gênait. Alors soit Rémi courait dans le parc, soit il faisait et défaisait des nœuds.
Rémi et Yannick partageaient un point commun: tous deux étaient déçus de la vie, pour des raisons différentes.
- Mais Yannick, dit une fois Rémi, au moins les dimanches l’été il y a de quoi de le fun à faire. Le Piknic Électronic, là-bas on peut tripper pas mal. J’aimerais bien ça te montrer ça.
- Oui ça coûte trop cher aller là-bas, se défendit Yannick. J’ai pas les moyens.
- Ya peut-être une solution, proposa Rémi. L’autre fois quand je suis allé rapporter mon verre vide, quelqu’un m’a donné un stock pile de deux dollars. Je pense de plus en plus que des gens abandonnent leur verre réutilisable, le jettent par terre, ou au pire seraient prêts à le laisser aller pour pouvoir continuer à danser les deux mains libres le reste de la soirée.
- Ah oui? fit Yannick, dubitatif.
- Moi je pense, continua Rémi, que tu peux t’faire 200$ là-bas si tu fais bien ça. Tu observes, trouves des gens qui ont fini leur verre et qui ont l’air de vouloir s’en départir, et tu leur offres de le leur prendre. Yen a je suis sûr qui vont dire oui. D’autres pas, alors faut pas insister ou essayer de leur prendre, mais autrement, je pense bien que ça peut marcher. C’est 2$ le verre vide que tu rapportes, et même 4$ la bucket. Mais je pense que ce sera plus difficile récupérer des buckets vides, les gens veulent souvent garder ça en souvenir ou récupérer le 4$. Mais à 2$, ya du monde qui jettent ou laissent aller je pense bien.
- Pas sûr de ça moi, douta Yannick.
- Aye moi j’ai pas assez d’couilles pour tester mon idée, mais si tu veux l’essayer, proposa Rémi, j’te paie le billet.
Tout joyeux, Yannick accepta l’offre de Rémi. Ce fut pour Rémi une regrettable décision. Il convint avec Yannick d’aller là-bas le dimanche qui suivrait, mais le matin même, ben Yannick était super malade parce qu’il a bu de l’alcool et fumé du pot toute la soirée la veille, tout seul pour rien! Ben oui, bravo! Rémi dut alors demander à du monde random sur Facebook qui voudrait du billet, il trouva quelqu’un qui offrit de l’acheter, mais à la porte ils demandèrent une pièce d’identité et il ne put entrer, alors Rémi dut rembourser l’acheteur et le billet fut perdu. Quelle tristesse.
Le dimanche suivant, Yannick avait confirmé que là il pourrait et Rémi avait naïvement racheté un billet la veille pour sauver un peu d’argent. Ben le dimanche matin, Yannick avait oublié qu’il devait aller voir sa mère à Belœil ce jour-là! Ah non! Mais comment Diable Yannick peut-il se rendre là? Rémi était choqué d’imaginer que Yannick, se croyant sans le sou, continuait à payer pour un permis de conduire, des plaques, des assurances, l’entretien d’un véhicule, pour aller faire des escapades hors de Montréal! En fait, Yannick alla là-bas à vélo ou bien fallait qu’il se rende proche en transport en commun et que sa mère vienne le chercher.
Cette fois, Rémi tenta de trouver quelqu’un pour aller avec lui. Un ami lui répondit qu’il pouvait, mais il arriva une heure en retard, était surpris que Rémi prenne de l’alcool pendant l’événement et ne pensait pas qu’il buvait, et en plus il repartit tôt, genre à 18h. Rémi, lui, resta et s’amusa, jusqu’à 21h30.
La troisième fois, Rémi acheta le billet le dimanche même et là enfin Yannick put venir. Mais il le fit attendre une heure et demi à la porte en raison de problèmes avec son vélo. Il arriva avec une caisse de 24, bien que Rémi l’ait mis en garde que l’alcool pas acheté sur place n’était pas permis. La « solution » de Yannick était des plus simples: on va tout boire avant de rentrer! Rémi « aida » Yannick en prenant trois bières, Yannick en siffla plus de dix, et on tenta d’en donner. Cela finit qu’on laissa là le reste des bières espérant que ça ferait le plaisir de quelqu’un, et on entra là-dedans.
Il fallut une demi-heure pour que Yannick se fasse avertir par la sécurité, car il essayait trop agressivement de récupérer des verres vides. La stratégie de Rémi sembla inefficace. Par contre, vers 20h, les choses changèrent. De plus en plus de gens en avaient assez bu ou n’avaient pas les moyens de se racheter de l’alcool, alors ils traînaient leurs verres réutilisables vides tels des boulets. Il y avait par malchance beaucoup plus de cannettes que de verres réutilisables. Yannick a essayé de se récupérer des cannettes vides. Il s’est amené un grand sac et essayait de le remplir, mais le sac fut confisqué par un agent de sécurité qui le vida dans une grande poubelle. Yannick a essayé de se servir dans la poubelle et s’est fait avertir une seconde fois.
Mais les verres, il en ramassa. Plein. Il réussit même à se récupérer une dizaine de buckets! Oui oui! C’était hallucinant. Tout joyeux, Yannick se présenta vers la fin de l’événement au comptoir de retour des verres et se fit un beau pactole de plus de 200$!
- Aye merci men! fit Yannick. C’est vraiment nice ton idée. T’es génie men, un génie!
- Oui mais attention, ça va peut-être pas aussi bien fonctionner à chaque fois.
- Je sais mais men, c’est cool, j’ai fait plus d’argent qu’en une journée de job depuis que j’ai pu d’contrats! Aye j’retourne dimanche prochain!
- Mais parle pas trop de l’idée. Si trop de gens le font, ce sera plus rentable du tout. Ou ils vont vous empêcher d’le faire d’une façon ou d’une autre. Pis garde-toi un peu de c’t’argent-là pour payer tes factures. Fais pas juste tout boire ou fumer. C’est pour toi.
Yannick fit totalement fi des conseils de Rémi. Le soir même, à la hâte, juste avant la fermeture du dépanneur, il s’acheta deux caisses de 24 et but, but, but, comme jamais il ne l’avait fait auparavant! Il s’acheta un paquet de clopes qu’il fuma durant toute la nuit! Puis le lendemain, il alla chez son pusher pour se payer des speeds et de la MDMA! Oui oui! En trois jours, il ne restait plus rien de ses gains du dimanche.
« Mieux » encore, Yannick raconta à tout le monde ce qu’il avait fait et à quel point son ami Rémi était un génie pour lui avoir suggéré ça. Résultat? Le dimanche suivant, il y avait plus de 25 vautours tentant de récupérer avec insistance verres, buckets et cannettes vides auprès des clients. Plusieurs se firent sortir et on leur confisqua tout simplement les verres vides. Yannick profita de l’expérience acquise la semaine précédente, ne se fit pas sortir, mais il récupéra seulement 20$ en verres vides.
Chaque dimanche jusqu’à la fin de l’été, ce fut ainsi: 20$, 44$, 34$, 12$ (pas bon celui-là, il y a eu de la pluie), 60$ (yeah), et puis ce qui devait arriver arriva. Un moment donné, Yannick arriva avec un stock pile de verres, près de 120, et on ne lui en échangea qu’un seul. Les autres furent pris mais pas remboursés. Yannick était furieux, mais il n’y eut rien à faire. Il tonitrua que ce n’était pas juste, gesticula trop, cela finit qu’il se fit sortir par la sécurité. Comme il y avait eu trop d’abus, on avait imposé des restrictions. Ainsi, les vautours quittèrent la piste de danse, laissant champ libre aux festivaliers.
Malheureusement, il existe beaucoup de façons « simples » mais non pérennes comme celles-là de faire de l’argent.