La vérité perdue

Samedi, 10 mai 2025, un terrible drame est survenu dans un condo au centre-ville de Montréal. Cela faisait quelques temps que James ressentait des petites douleurs dans la poitrine, des mots de tête et sa vision se troublait, parfois allant même jusqu’à ce qu’il voie double. Il en a parlé à son médecin, et s’est fait prescrire un suivi pour sa tension artérielle et une médication. On a pu trouver une dose adéquate pour réguler la tension artérielle de James, mais la tension remontait régulièrement. James avait un rendez-vous prévu en ophtalmologie, mais il y avait six mois d’attente!

Ce samedi, James travaillait sur une peinture quand soudain, une vive douleur à la poitrine lui a pris. La douleur était dix fois plus intense que les précédentes, à tel point que James avait de la misère à penser et à respirer. Il se coucha au sol, prit de grandes respirations, espéra que ça allait passer, mais non, la douleur persista et plus ça allait, plus James avait de la misère à respirer. James essaya de poser sa main sur son cœur, comme si ça allait soulager la douleur, mais cela ne changea rien. Nul doute possible, se dit James, il allait falloir appeler le 911.

James se sentait tellement mal qu’il eut du mal à se relever. Un instant, à bout à cause de toutes les déceptions et frustrations qui s’étaient accumulées pour lui depuis des années, James songea juste rester allongé et se laisser aller. Son cœur, au pire, allait lâcher et ce serait fini, ce serait réglé, ce serait tout.

Mais James se dit la chose suivante: non, ce ne sera pas ma job qui va me tuer! Non, ce n’est pas vrai que mon frère plus jeune que moi, ma sieur plus jeune que moi, vont survivre et moi je vais crever comme un chien! Mes parents ne s’en remettront jamais si je pars comme ça, se dit James. Je vais me battre, se dit James. Alors James se leva d’un bond, parvint tant bien que mal à tenir debout, se dirigea vers son téléphone et le saisit.

James alluma l’appareil et glissa son doigt sur l’écran pour accéder au clavier numérique. Au moment où James voulut appuyer sur le 9, sa vision se brouilla. Il tenta d’appuyer au hasard, ce qui échoua. James essaya « Ok Google, 911 », ce qui échoua aussi. Il tenta d’appuyer au bas de l’écran, pour déclencher un appel d’urgence, et puis il se mit à avoir super super super chaud, lâcha l’appareil et perdit conscience.

C’est seulement trois jours plus tard qu’on le retrouva, mort, par terre. Les employeurs de James s’inquiétèrent de son absence subite sans préavis et finirent par contacter le numéro d’urgence qu’il leur avait donné. Cela permit d’avertir la mère de James de son absence. Les parents de James tentèrent de l’appeler, pas de réponse, s’inquiétèrent et vinrent voir, pour constater l’horrible drame.

Il y eut enquête du coronaire et autopsie. Cause de la mort: crise cardiaque. Au sol, à portée de main, il y avait le téléphone de James. Il aurait pu appeler des secours et ne l’a pas fait, alors les autorités conclurent à son suicide. Oui oui.

Au début, la famille de James rejeta cette hypothèse. Non, James ne s’est pas suicidé. Il ne se serait pas laissé aller, il se serait battu. Malgré les difficultés, notamment un cancer des ganglions, une fracture de la cheville à cause d’une maudite tempête de neige, la perte de son emploi, sa rupture avec sa femme, la mort de son petit chat, James a persévéré, s’est battu, s’est relevé. Pourquoi, là, aurait-il laissé tombé? Personne ne pouvait le croire.

Jusqu’à ce qu’on retrouve les écrits…

James avait laissé sur son ordinateur une stock pile de récits tous plus macabres les uns que les autres. Il décrivait entre autres tout le processus entrepris par un père pour enseigner à son enfant comment devenir tueur en série, pour que son « art » se transmette de générations en générations. On y trouva l’histoire d’une mère paralysant ses enfants par magie pour pouvoir se shooter tranquille dans la cuisine tandis qu’ils regardaient « au calme » un film dans le salon, assis les uns par-dessus les autres, incapables de bouger. On trouva des histoires de bagarres contre la police parce que James avait décrété que non, jamais, il n’irait en prison, de magistraux pétages de plombs avec beaucoup de casse, etc.

Chaque récit lu instilla le doute dans l’esprit des proches de James. Ses parents finirent, exaspérés, par se ranger du côté de la thèse du suicide, et ne comprenaient pas pourquoi il avait fait ça, pourquoi il s’était laissé allé. Ils se demandaient si c’était leur faute, ce qu’ils auraient pu faire pour éviter ce drame, et ne trouvèrent jamais. Seul le frère de James continua à penser que non, jamais il ne se serait laissé aller.

James, arrivé prématurément dans le Royaume des Cieux, ne pouvait communiquer efficacement avec les autres âmes. Il allait devoir apprendre à la dure ce qu’il aurait pu acquérir plus facilement sur Terre, s’il ne s’était pas laissé aller. Lui aussi se demanda s’il aurait pu faire plus, s’il aurait pu faire plus vite, s’il aurait pu s’il avait vraiment voulu composer à temps le 911 et appeler les secours. Même ses grands-parents ne pouvaient croire à sa version et appuyaient la thèse du suicide! Seule une communication d’esprit à esprit pouvait permettre de transmettre la vérité, et à cause de sa mort prématurée, James ne put s’élever au niveau suffisant pour l’établir. En tout cas, pas tout de suite.

Et même si un jour il réussissait, il allait devoir attendre que sa famille rejoigne à son tour le Royaume des Cieux pour pouvoir leur parler, leur dire la vérité, et il faudrait que les esprits des membres de sa famille puissent se raccorder au sien, pour que le courant passe et la vérité se transmette.

Et si James avait voulu survivre pour les bonnes raison, aurait-il pu réussir à téléphoner? Ne pas laisser son employeur le tuer, ne pas être le premier des enfants à partir, ce sont certes de bonnes raisons. Mais mieux encore, c’est de pouvoir continuer, sur Terre, la formation de son âme, en préparation au Royaume des Cieux. Ce que James n’a pas pu apprendre sur Terre, en raison de sa mort prématurée, il devra l’apprendre dans les Cieux, mais ce sera plus difficile. De la même façon qu’un bébé né prématurément peut avoir du mal à respirer, avoir besoin de chirurgies diverses, etc., un esprit détaché prématurément de son corps peut avoir du mal à interagir avec les autres esprits et devra, à la dure, apprendre l’amour, l’empathie, la compassion, l’honnêteté, l’importance des actes bons bien plus grandes que celles des vides paroles.

On espère tous qu’un jour James pourra établir la vérité pour le plus d’âmes possibles. Mais Dieu, dans son infinie sagesse, son infinie bonté, sait, connaît la vérité. James a oui, un instant, songé se laisser aller, mais il a voulu se battre, sincèrement.

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